L’histoire de l’émergence des ONG au Zimbabwe est difficile à retracer, tant les modes de gouvernance successifs ont laissé peu d’espace au développement des mouvements sociaux. Comme ailleurs en Afrique, l’administration coloniale a tout fait pour freiner le développement d’une vie associative africaine dans les villes. Les séjours des Africains dans les zones urbaines étaient trop éphémères pour consolider des groupes sociaux capables de revendiquer une participation aux matières politiques.
Détour historique
Certains groupements, comme la Rhodesia Bantu Voters’ Association (RBVA), la Southern Rhodesia Native Welfare Association (SRNWA), le Christian Council (1964), le Christian Care (1967) et la Catholic Commission for Justice and Peace (CCJP) (1972), ont malgré tout vu le jour à l’époque, mais la loi coloniale interdisant – et criminalisant – toute activité politique des communautés africaines, ils furent obligés de travailler dans la clandestinité et n’eurent que peu d’impact.
L’héritage autoritaire et l’idéologie de l’unité nationale qui habitaient le nationalisme des années 1960 et 1970 contribueront à annihiler toute forme de pluralisme et de vie associative autonome. Dès les débuts de l’ère postcoloniale, les politiques populistes et autoritaires du gouvernement nationaliste ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique) empêchèrent le développement d’une société civile indépendante, au motif que la ZANU-PF était la seule représentante légitime de la population.
Avec le temps cependant, la baisse de popularité du gouvernement Mugabe, sa volonté de mettre en place une dictature de parti unique, la corruption généralisée de son administration, l’échec des programmes d’ajustement structurel, la croissance de la pauvreté et le déclin de l’économie se traduisirent par une recrudescence de l’activisme civique. Celui-ci trouva son expression dans une série d’organisations civiques qui commencèrent à mettre en cause les politiques gouvernementales. Le nombre d’organisations critiques augmenta considérablement durant les années 1990.
De puissants mouvements sociaux centrés sur les questions de gouvernance émergèrent à cette même époque, à l’instar de la National Constitutional Assembly (NCA), formée en 1996 et lancée officiellement en janvier 1997, qui fera de la réforme constitutionnelle sa principale priorité. D’autres mouvements virent le jour en réaction à l’aggravation de la crise politico-économique et à l’intolérance croissante du gouvernement vis-à-vis des critiques provenant de l’opposition, en particulier le Movement for Democratic Change (MDC), formé en 1999. Parmi les mouvements qui luttent pour la réforme constitutionnelle et la transparence des processus électoraux, citons également le Zimbabwe Election Support Network (ZESN), Zimrights, Crisis Coalition, Zimbabwe lawyers for human rights (les Juristes zimbabwéens pour les droits humains), etc.
Principaux enjeux des luttes
La période qui s’étend de 1997 à nos jours est marquée par une intensification de la répression étatique qui a culminé dans une série d’atrocités commises par le gouvernement et ses représentants à l’encontre de la population civile. Des lois coercitives ont été adoptées qui visent à réduire davantage les libertés des citoyens victimes de la vague d’intimidation et de violence qui s’est abattue sur le pays suite aux émeutes de la faim de 1998. Au nombre de ces lois largement combattues par la société civile, citons la Loi sur l’ordre public et la sécurité, qui interdit le rassemblement de plus de cinq personne sans autorisation de la police ; la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée ; la Loi de financement des partis politique ou la Loi sur les médias.
Depuis le début du 21e siècle, la société civile du Zimbabwe lutte donc pour le droit à la propriété, contre la violence politique de l’État, les violations des droits humains, le non-respect de l’État de droit et, plus généralement, contre la restriction des espaces démocratiques. Les organisations civiques revendiquent également une nouvelle constitution et la ratification de lois électorales qui garantissent des élections libres et équitables.
Mais, à mesure que le pays s’enfonce dans la crise économique, l’injustice sociale suscite également des mobilisations de plus en plus vigoureuses. En décembre 2006, les fonctionnaires publics, en ce compris les médecins et les infirmières, ont entamé une série de grèves pour exiger une amélioration de leurs salaires et de leurs conditions de travail. Si le mouvement a été initié par des syndicats affiliés à la centrale syndicale opposée au gouvernement (le Zimbabwe Congress of Trade Unions), ceux-ci ont été rejoints par des organisations traditionnellement alignées sur la ZANU-PF, comme l’Association des enseignants du Zimbabwe, ce qui en dit long sur la crise de légitimité qui pèse sur le régime.
Stratégies des acteurs collectifs
Si la plupart des organisations civiques convergent sur un certains nombre de questions clés, elles n’en usent pas moins des tactiques différentes pour atteindre leurs objectifs. Certaines ont choisi la confrontation directe avec le gouvernement. La NCA, par exemple, organise des manifestations de rue qui tournent régulièrement au clash avec la police. D’autres, en revanche, ont opté pour le dialogue et s’efforcent de sensibiliser les officiels en les invitant à des réunions de travail où les problèmes vécus par les communautés affectées leur sont présentés.
D’autres encore privilégient les initiatives aux niveaux régional et international. Récemment, un groupe de représentants d’organisations de la société civile a rencontré le groupe de médiation de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) en Afrique du Sud, afin de préciser la position de la société civile zimbabwéenne dans les discussions engagées entre la ZANU-PF et le MDC en vue de trouver une issue à la crise que traverse le pays. Ils ont clairement exprimé le refus de la société civile de soutenir toute initiative s’écartant des principes d’une démocratie pour et par le peuple.
Certains groupes se sont spécialisés dans la compilation d’informations sur les atrocités et les violations des droits humains commises par le gouvernement. Ils s’efforcent ensuite de les imposer aux ordres du jour des rencontres régionales et internationales dans l’espoir d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la crise zimbabwéenne et de forcer les autorités de Harare à changer de comportement.
Enfin, des organisations jouent un rôle d’observatoire des processus électoraux. A l’instar du ZESN, qui dépêche des observateurs aux quatre coins du pays pour suivre le déroulement des élections, rédige des rapports sur la qualité des processus électoraux et formule des recommandations aux autorités électorales et aux parlementaires en vue de corriger les anomalies identifiées. Le ZESN encourage également les parlementaires à s’intéresser aux pratiques d’autres pays, afin de les sensibiliser à la nécessité d’une réforme du code électoral.
Impact et défis de la société civile zimbabwéenne
Bien que la composition du gouvernement n’ait pas changé significativement depuis le tournant du millénaire et l’intensification de l’activisme civique, certains événements prouvent que ces mobilisations ne sont pas dénuées de portée. Le fait, par exemple, que les médiateurs de la SADC aient reconnu l’importance de la contribution de la société civile dans le dialogue est déjà un indicateur de réussite, la société civile ayant désormais un rôle à jouer dans les discussions en cours. Et suite aux recommandations de la ZESN concernant la reformulation des lois électorales, un amendement constitutionnel a été adopté qui invite les négociateurs à se mettre d’accord sur la réforme du code électoral.
La société civile zimbabwéenne fait cependant face à trois défis importants, qui conditionnent la portée de ses activités, voire la poursuite tout court de ses activités. Le premier est bien entendu celui de la répression, qui va en s’accentuant. Les événements tragiques du 11 mars 2007, durant lesquels plusieurs leaders du MDC furent battus et arrêtés par les forces de l’ordre, sont un exemple parmi d’autres de la brutalité policière à laquelle s’exposent les militants. A cette généralisation de la violence physique dans l’ensemble du pays, il faut ajouter les nombreux mécanismes législatifs mise en place par le régime pour gêner l’activité des ONG. Le projet de loi sur les ONG, adopté par le parlement en 2005 mais non encore sanctionné par le gouvernement, devrait accentuer leur encadrement et encore réduire l’impact de leurs activités.
Mais les ONG au Zimbabwe font face à un autre obstacle, interne celui-là : leur manque d’unité. Les divergences trouvent essentiellement leurs origines dans la volonté de quelques dirigeants d’exhiber leur affiliation aux partis de l’opposition, ce qui compromet leur statut de membre de la société civile. Il faut enfin relever le problème de la fatigue des bailleurs de fond, de plus en plus réticents à financer des mouvements qui, en sept ans, n’ont engrangé que de faibles résultats. Et la propension de certains financeurs à fournir des « aides liées » oblige les organisations qui manquent le plus cruellement de moyens à mettre en œuvre des programmes à l’élaboration desquels elles n’ont pas participé. Ce qui, on le devine, ne risque pas d’augmenter leur efficacité.