Avec un déficit budgétaire qui est estimé à 20% du produit intérieur brut (PIB) et des prix du pétrole qui risquent de rester inférieurs à 50 dollars le baril au cours des prochains mois, les perspectives pour l’année 2015 s’annoncent catastrophiques pour le Venezuela. D’ailleurs, même si ne sont pas encore palpables les difficultés de l’économie vénézuélienne envisagées pour cet annus horribilis, le rapport que vient de publier la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL) sur la base des données de 2013 révèle une augmentation de la pauvreté au Venezuela qui implique un déboire pour le régime bolivarien.
L’organe des Nations Unies montre que le Venezuela est le pays avec les résultats les pires dans une région caractérisée par la stagnation de la croissance économique et par conséquent de l’amélioration sociale. Ce rapport assène un coup au discours du régime bolivarien qui, au cours des administrations de Hugo Chavez [1999-2013] et de Nicolas Maduro [depuis avril 2013], a légitimé son action politique en invoquant constamment ses succès – supposés ou réels – dans le combat contre l’exclusion et la pauvreté. Pour fournir une crédibilité à leurs victoires, les porte-parole gouvernementaux s’abritent systématiquement derrière la reconnaissance d’organes techniques du système des Nations Unies tels que l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou même la CEPAL
Le jugement de la CEPAL suggère que la « rédemption » des pauvres au Venezuela a été superficielle et volatile, sujette aux va-et-vient des revenus pétroliers et à la volonté de l’Etat de répartir les excédents issus éventuellement de la rente pétrolière.
L’enquête sur les « Conditions de vie de la population vénézuélienne » dont les résultats ont été révélés à Caracas le 29 janvier va dans le même sens. Il s’agit d’un projet conjoint de l’université catholique Andrés Bello (UCAB, université privée) et de deux organismes dépendant de l’Etat, les Universités centrales du Venezuela (UCV) et Simon Bolivar. L’étude a effectué une enquête dans les foyers pour évaluer l’accès de la population vénézuélienne au logement, aux services de santé et d’éducation, à l’emploi, aux programmes sociaux et à l’alimentation.
Les évaluations de l’étude – dont le travail de terrain a été réalisé entre août et septembre 2014 – permettent d’affirmer qu’un peu plus de 3,5 millions de foyers vénézuéliens (sur un total de 7,2 millions) sont pauvres. Et parmi eux, 1,2 million vivent dans une extrême pauvreté. Cette dernière catégorie comprend les groupes de familles dont les revenus ne suffisent pas à garantir à chacun de leurs membres une nourriture équivalant à 2200 calories par jour ni à financer les services de base comme l’eau et l’électricité.
Les chiffres indiquent que le niveau de pauvreté qui touche actuellement 48,4% de la population est légèrement supérieur au taux de 45% enregistré en 1998. De plus, l’enquête montre également qu’un sur trois de l’ensemble des pauvres est un nouveau pauvre, dont la rechute dans la pauvreté est liée aux effets de l’inflation. D’après les chiffres officiels, le Venezuela a terminé l’année 2014 avec une augmentation annuelle des prix à la consommation de 64%, soit le taux le plus élevé du monde pour la deuxième année consécutive.
Ces nouveaux pauvres pourraient sortir « avec une relative facilité » de leur situation si l’économie vénézuélienne connaissait un cours meilleur, comme l’indique le sociologue Luis Pedro España, membre de l’Institut de recherches économiques et sociales de l’UCAB, et un des principaux experts dans ce domaine. Ce qu’il affirma durant la présentation des résultats de l’étude dont il était responsable. Néanmoins, étant donné les perspectives pour l’année 2015, existe le risque certain que ces pauvres liés à la situation conjoncturelle finissent par grossir les rangs de la pauvreté chronique ou structurelle. Il explique : « Le Venezuela est à nouveau entré dans un cycle d’accroissement de la pauvreté analogue à celui que le pays a connu lors de période d’ajustements structurels, comme en 1989 et en 1996 ; ou de bouleversements sociaux, comme en 1992 [révolte sociale liée à la crise socio-économique sous le gouvernement de Carlos Andres Pérez, président de la IIe Internationale socialiste] et en 2002 [tentative de coup d’Etat contre Chavez]. »
Les dites missions, ces programmes d’assistance sociale du gouvernement qui pourraient atténuer pendant une crise le processus de paupérisation, ne touchent que 10% des foyers sur lesquels a porté l’enquête. Pire, le rapport a montré que presque la moitié des bénéficiaires de ces programmes ne sont pas pauvres. « Cela nous indique que les missions ne sont pas massives et que d’autre part elles ne fournissent pas une protection sociale effective puisqu’elles ne se concentrent pas sur le secteur le plus vulnérable de la population », souligne Luis Pedro España.
Jusqu’à maintenant ces missions ont montré qu’elles constituaient des moyens de contrôle social efficaces – étant donné qu’elles fournissent des bases de données – et qu’elles recevaient des fonds importants, ce qui, en définitive, servait d’arguement puissant pour gagner des élections. Mais maintenant, avec l’arrivée de la période des vaches maigres, seule une réorganisation de leur appareil pourrait aider à les transformer en réels palliatifs face à la crise.
Il ne semble cependant pas que le gouvernement de Nicolas Maduro, harcelé par des difficultés venant de différents fronts, ait le courage d’assumer le coût politique d’une telle restructuration. En effet, cela supposerait de dépouiller des prébendes liées aux missions un secteur de ses partisans, et, en même temps, pourrait peut-être décourager les attentes générales de la population de devenir les bénéficiaires de ces faveurs à caractère clientéliste. L’étude a montré que 57% des personnes qui ne sont pas bénéficiaires des missions souhaiteraient l’être.
España note que tout ceci montre que pendant les 15 dernières années le Venezuela n’a pas eu de réel programme pour surmonter la pauvreté de manière structurelle. Il n’y a eu qu’une campagne de distribution des bénéfices de la rente pétrolière avec un caractère assistentialiste : « Il faut concevoir un authentique plan pour surmonter la pauvreté, basé sur l’effort et la productivité. »