L’explosion était prévisible, redoutée depuis des semaines. Elle a eu lieu au lendemain de la décision, prévisible elle aussi, de présenter le président sortant, Pierre Nkurunziza comme candidat du parti CNDD-FDD à l’élection présidentielle de juin prochain. C’est à l’issue d’un congrès qui s’est tenu samedi, en présence de nombreux membres de la milice des Imbonerakure, que le parti au pouvoir a décidé de relever le défi et de passer outre au prescrit des accords d’Arusha, qui, en 2000, avaient mis fin à la guerre civile et ne prévoyaient que deux mandats successifs. Arguant que pour son premier mandat, il avait été élu au suffrage indirect, M. Nkurunziza s’estime en droit de se représenter une fois de plus devant les électeurs. Cette interprétation des accords d’Arusha et de la Constitution suscite beaucoup d’hostilité au Burundi : l’opposition estime qu’un troisième mandat sera inconstitutionnel, la puissante Eglise catholique et la société civile ont marqué leur désaccord, le principal opposant (hutu) Agathon Rwasa, dont le parti FNL n’a enterré la hache de guerre que depuis peu a déclaré que cette décision risquait le plonger le pays dans le chaos…
Défiant un impressionnant dispositif policier et bravant l’interdiction du gouvernement qui avait multiplié les mises en garde contre toute tentative de « soulèvement », des manifestants se sont rassemblés dès dimanche matin pour tenter de gagner la place de l’Indépendance au centre de Bujumbura tandis que dans des quartiers plus périphériques comme Cibitoke, la police utilisait des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour empêcher des milliers de jeunes de converger vers le centre ville. L’eau utilisée par les policiers était teintée de bleu, afin de faciliter par la suite l’identification des manifestants aspergés…
Au cours de la matinée, une personne a été tuée par balles, plusieurs manifestants ont été blessés et au moins sept policiers anti émeutes ont été atteints par des jets de pierre.
La police a procédé à une dizaine d’arrestations. Dimanche soir, un calme précaire était revenu à Bujumbura, mais les opposants promettaient que dès lundi, des manifestations plus structurées allaient reprendre. Très écoutées et soupçonnées de coordonner l’action des opposants à l’occasion de reportages en direct, les trois principales radios indépendantes du pays (Bonesha, Isanganiro et Radio publique africaine) ont vu leurs émetteurs relais être coupés sur ordre du gouvernement, ce qui a empêché la réception des émissions en dehors de la capitale. A ce stade, on ignore les réactions dans les provinces et les milieux ruraux, où, depuis des mois, des milices aux ordres du parti, les Imbonerakure, sont déployées et, selon de nombreux témoignages, intimident voire terrorisent la population.
Sur le plan international, les Etats Unis sont le premier pays à avoir réagi sans équivoque : la porte parole du Département d’Etat a déploré « une importante occasion manquée » pour la démocratie et menacé les autorités burundaises de prendre des sanctions si le processus électoral n’était pas régulier. Souhaitant que les élections présidentielle et législatives burundaises se déroulent « dans un environnement dépourvu de menaces, d’intimidation et de violences » les Etats Unis se sont déclarés prêts à prendre des « mesures ciblées » contre les responsables.
Du côté belge, la réaction a été extrêmement modérée : un communiqué du ministère des Affaires étrangères assure que Didier Reynders « prend note » du choix de Pierre Nkurunziza comme candidat du CNDD-FDD pour la prochaine élection présidentielle et rappelle que l’accord d’Arusha, socle de la paix et de la démocratie, devait servir de guide. Alexander de Croo, ministre de la Coopération, s’est , lui, montré plus net : exprimant son inquiétude, il a estimé qu’un troisième mandat irait à l’encontre des accords d’Arusha.
Dans la région, les pays voisins suivent de près la situation, en particulier au Rwanda où plus de 9000 Burundais se sont déjà présentés comme réfugiés. Selon plusieurs témoignages, des miliciens Imbonerakure auraient scellé la frontière entre les deux pays et déclaré que ceux qui s’opposeraient au troisième mandat sont à mettre sur le même pied que les assassins du président Ndadaye en 1993, ce président hutu qui avait été tué par des militaires tutsis. Même si le clivage actuel est politique et non ethnique, la peur, en particulier parmi les Tutsis, n’est jamais très éloignée et, selon certaines sources, des Interhahamwe rwandais (auteurs du génocide de 1994) auraient rejoint leurs « cousins » les miliciens Imbonerakure !
Les Burundais, tous groupes ethniques confondus , redoutent un retour en arrière qui ferait basculer dans la violence non seulement leur pays mais une sous région qui demeure fragile.