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Madagascar

Tour d’horizon de la problématique foncière : enjeux, défis et perspectives

Madagascar est un pays profondément rural et agricole. La campagne constitue le cadre de vie des trois quarts de ses 24 à 25 millions d’habitants. Premier secteur économique du pays (entre 25 et 30 % du PIB) et principale source de devises (26 % du total des exportations en 2016)1, l’agriculture et ses activités connexes (pêche, élevage, sylviculture, etc.) mobilisent directement ou indirectement la majorité des actifs et procure la quasi-totalité des revenus familiaux (Banque
mondiale, 2016).

Ainsi, d’après le dernier recensement (2011), 81% des ménages déclarent avoir eu une activité agricole au cours de l’année écoulée et 68% se considèrent comme des exploitants vivant essentiellement de l’agriculture définie ici au sens large – cultures annuelles ou pérennes, élevages, pêche, foresterie, chasse, cueillette. Principalement familiale et de subsistance (60% en moyenne de la production agricole est consommée par les ménages), l’agriculture malgache fournit aussi l’essentiel de l’alimentation aux ménages urbains (FAO, PAM, 2015 ; Banque mondiale, 2016).

Mais si les activités agricoles constituent bien le poumon économique du pays et fournissent à sa population ses principaux moyens de subsistance, les campagnes malgaches concentrent aussi bon nombre des problèmes auxquels est confrontée la Grande Île. En particulier, la très grande pauvreté qui touche l’immense majorité de sa population.

Madagascar demeure en effet l’un des pays les plus pauvres au monde, avec un PIB d’à peine 410 USD par habitant, un revenu par tête en 2015 de 1320 USD (contre 3 383 en moyenne pour l’Afrique subsaharienne) et un indice de développement particulièrement bas qui situe l’île à la 158e place sur 187 pays (Banque mondiale, 2016 ; PNUD 2018). Près de 92% de la population malgache vit avec moins de deux dollars US par jour et environ 33% des ménages se trouvent dans une situation d’insécurité alimentaire. Sans surprise, l’écrasante majorité des pauvres (86% d’entre eux) et des personnes sous ou mal alimentées vivent en zones
rurales et sont dépendants des activités agricoles et d’élevage pour assurer leur survie (De Schutter, 2011 ; FAO, PAM, 2015 ; Banque mondiale, 2016).

Le monde rural malgache est donc un monde au bord de la limite, constamment préoccupé par sa survie. Particulièrement vulnérables aux aléas climatiques et aux catastrophes naturelles, nombreux sont les paysans et les paysannes qui peinent aujourd’hui à subvenir à leurs besoins les plus basiques. « Près de 35% de la population rurale a faim – un chiffre qui s’élève à 47% parmi les petits agriculteurs et à 43% parmi les travailleurs agricoles journaliers —, et 51,1% sont vulnérables à l’insécurité alimentaire », s’alarme ainsi l’ex-Rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation dans son rapport sur Madagascar. « Cette situation est demeurée pratiquement inchangée depuis vingt ans (…). La situation du Sud est plus dramatique : 68% des ménages se trouvent en insécurité alimentaire. »

La faim, précise-t-il encore, affecte de manière disproportionnée les ménages dirigés par les femmes ou par des personnes âgées. Dans les districts du Sud, plus de
la moitié des ménages n’ont pas de revenus courants leur permettant de faire face aux seules dépenses alimentaires. Pour ne pas mourir de faim, les ménages réduisent le nombre de repas, et passent à des régimes alimentaires moins diversifiés, privilégiant le manioc ou la patate douce, le riz étant devenu inabordable. Ou bien ils vendent leurs animaux d’élevage… Mais cette stratégie de décapitalisation est une impasse : elle annonce des difficultés plus grandes encore. »

Et Olivier De Schutter d’avertir : « Ce pays est en régression, et une crise humanitaire majeure se profile. » (2012)

Ironie du sort, l’île rouge ne manque pas d’atouts. Sa population est jeune et relativement mieux formée que dans bon nombre d’autres pays pauvres. Elle ne connaît guère – ou si peu – de tensions ethniques et religieuses. Le degré de violence politique y reste très faible comparé à ses voisins continentaux. Mais surtout, elle dispose de vastes étendues de terres arables non affectées à l’agriculture. Et son sous-sol regorge de ressources naturelles rares et non exploitées (Banque mondiale, 2016).

En dépit de cela, Madagascar ne parvient pas à s’extirper de l’ornière de la pauvreté et du sous-développement, voire s’y enfonce davantage, comme son monde rural.

Comment expliquer un tel paradoxe ?

Indépendamment des causes de nature politique et économique (Razafindrakoto, Roubaud et Wachsberger, 2018) qui ont joué un rôle central dans la dégradation
des conditions de vie des paysans et paysannes, beaucoup tendent à imputer cette situation aux performances médiocres de l’agriculture malgache : faible productivité, techniques de production rudimentaires, inefficaces et décrites souvent comme peu durables, rendements médiocres, manque de diversification, déséquilibre entre les ressources et les besoins, surplus inexistants, visée d’autoconsommation, etc.

D’autres, encore, y voit l’effet d’une série de facteurs exogènes : enclavement des communautés paysannes, infrastructures inexistantes ou très dégradées, faible valorisation de la production agricole liée à la faiblesse du pouvoir d’achat dans les campagnes, accès limités aux marchés, absence de politique de soutien aux ruraux, chocs climatiques et catastrophes naturelles, etc.

Mais si toutes ces variables affectent bel et bien, à des degrés divers, les conditions de vies des paysan(ne)s, deux tendances jouent un rôle décisif dans l’appauvrissement des communautés rurales malgaches.

D’une part, le croissant déficit d’accès à la terre pour de nombreux ménages pauvres et le fractionnement des exploitations familiales, qui réduit inexorablement la surface utile par ménage, génération après génération, héritage après héritage. À Madagascar, les gens ont faim ou sont en situation de vulnérabilité économique (et alimentaire) d’abord et avant tout parce qu’ils n’ont pas accès à la terre et parce qu’ils cultivent des surfaces trop petites que pour s’assurer des conditions de vie dignes et décentes.

D’autre part, les croissantes pressions (démographique, ologiques, commerciales, etc.) qui pèsent sur la terre et tendent à exacerber la compétition autour du foncier, à aggraver la surexploitation des sols, à accroître la vulnérabilité socio-économique des communautés qui en vivent et à amplifier les conflits dans le monde rural malgache.

C’est dire combien l’enjeu foncier est central pour l’avenir du pays et le bien-être de la population, et combien l’accès à la terre constitue l’une des principales clés de voûte du développement, et un énorme défi pour la société malgache, au moment même où les terres sont l’objet de pressions de plus en plus fortes. Et il l’est d’autant plus que la terre, à Madagascar, joue un rôle majeur dans la vie sociale, la culture plurielle et les pratiques traditionnelles du peuple malgache.

Avant de nous pencher sur les politiques foncières à Madagascar et sur leurs limites, un tour d’horizon de quelques points saillants pouvant éclairer la question foncière et ses rapports avec la société nous paraît indispensable.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.