Si les prix mondiaux de l’alimentation ont augmenté de 40% en 2007, l’enchérissement de la vie a été plus impressionnant encore au Sri Lanka. Les prix de produits essentiels tels que le riz, le pain et le lait ont doublé, voire même triplé. L’impact de ces augmentations est bien sûr plus douloureux pour les plus pauvres, pour ceux qui consacrent jusqu’à 80% de leur revenu à l’alimentation. En conséquence, de plus en plus de Sri Lankais n’arrivent plus à se nourrir et à nourrir leurs enfants.
Crise sur fond de grande pauvreté
D’après les critères internationaux, une personne est considérée comme pauvre lorsqu’elle gagne moins de 2 dollars par jour. Au Sri Lanka, le programme officiel de réduction de la pauvreté (le Mouvement Samurdhi) informe que 2,1 millions de familles gagnent moins de 1500 roupies par mois, soit moins d’un demi dollar par jour. Cela correspond à un peu moins de la moitié de la population. La Banque centrale du Sri Lanka a récemment déclaré que la pauvreté avait diminué dans le pays. On ne voit cependant pas ce qui aurait pu causer une telle diminution, si ce n’est peut-être l’argent envoyé par les travailleurs ayant migré au Moyen-Orient. Mais ces transferts ne compensent assurément pas les conséquences négatives de l’augmentation du coût de la vie.
Les chiffres concernant le statut nutritionnel des pauvres parlent d’eux-mêmes. D’après les statistiques gouvernementales, seule une moitié de la population reçoit la dose journalière minimale de 2030 calories. Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies estime que le taux d’insuffisance pondérale de la population infantile du Sri Lanka est nettement supérieur à ce qu’il devrait être étant donné son revenu par habitant. L’Unicef de son côté constate que 14% des enfants sri lankais de moins de cinq ans montrent des signes d’émaciation et de retard de croissance, tandis que 29% connaissent une insuffisance pondérale. Si le conflit interminable entre le gouvernement et les Tigres tamouls pèse sur la sécurité alimentaire, en particulier dans les zones de tension, ce sont les niveaux nutritionnels de l’ensemble du pays qui se détériorent suite à l’augmentation des prix de l’alimentation.
Attitude du gouvernement sri lankais
Le président sri lankais et le ministre de l’agriculture ont lancé plusieurs programmes, tels que le « Let’s grow and build the nation » (« Visons la croissance et construisons la nation ») pour renforcer la production nationale d’aliments par les petits paysans et avoir un certain contrôle des prix du riz, mais ces mesures sont à la fois limitées, inappropriées et mal mises en œuvres. Elles ne répondent en tout cas pas au problème de fond, qui réside dans le fait que le gouvernement suit un modèle de croissance tournée vers l’exportation depuis une trentaine d’années. Ce modèle néolibéral postule que la mondialisation doit permettre au pays d’accélérer sa croissance économique et que les retombées de cette croissance réduiront la pauvreté (théorie du « trickle down effect »). Mais dans les faits, la croissance a été faible, les pauvres n’en ont pas profité et les inégalités économiques et sociales ont augmenté.
Qui plus est, la guerre que le gouvernement mène dans le Nord du pays aspire près de deux milliards de dollars par an, des dépenses supportées par la population par le biais de l’augmentation du coût de l’essence, des transports, de l’électricité, de l’eau, etc. Et malgré cet énorme fardeau, les dépenses affectées aux grands projets d’infrastructure visant à faire avancer le modèle de croissance néolibéral – en offrant des incitants aux investisseurs – n’ont été ni réduites, ni reportées. Des dépenses que l’Etat effectue en levant des fonds sur les marchés internationaux à des taux d’intérêt élevés.
Réponses populaires
La résistance de la population contre ces politiques économiques « anti-pauvres » n’a pas cessé ces trente dernières années. C’est d’ailleurs en promettant une économie différente, plus « humaine », que ce dernier gouvernement a été élu.
Pour autant, les luttes contre les récentes flambées de prix n’ont pas eu d’ampleur. Plusieurs facteurs expliquent cette relative passivité de la population. Tout d’abord, la situation de guerre et les questions de sécurité personnelle sont au cœur des préoccupations de la majorité. Les attentats à la bombe quotidiens n’épargnent pas la population civile, même en ville. Le gouvernement mène une campagne de propagande intensive pour convaincre que la victoire militaire contre les Tigres est imminente. Les échecs successifs des négociations entre les deux camps accréditent l’idée, au sein de la population, que la seule issue possible est la défaite militaire des rebelles séparatistes tamouls.
Ensuite, les gens ne sont pas convaincus par les actions de protestation lancées par le principal parti d’opposition, car ils savent qu’il a poursuivi les mêmes politiques lorsqu’il était au pouvoir. Les partis politiques orientés à gauche n’ont pas investi le thème des prix de l’alimentation avec suffisamment de vigueur. De son côté, le JVP [1] soutien le gouvernement dans ses efforts de guerre. Et les personnes les plus pauvres, les plus touchées par la hausse des prix, ont peu de ressources organisationnelles propres.
Ce sombre tableau est heureusement compensé par des lueurs plus positives en provenance du monde rural. En effet, on constate un mouvement grandissant dans les campagnes en faveur de l’agriculture écologique. Cette approche, portée par les organisations qui travaillent parmi les petits agriculteurs, est moins dépendante des intrants chimiques, améliore la fertilité du sol, l’efficacité dans l’usage de l’eau et le maintien de la biodiversité. Le gouvernement, qui a mis le soutien à la petite production paysanne au cœur de sa stratégie de lutte contre la hausse des prix de l’alimentation, saura-t-il suivre le mouvement ?