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République démocratique du Congo : une crise qui en châsse une autre

La crise alimentaire est un spectre en filigrane des réalités quotidiennes congolaises. Pour autant, la colère populaire qui a accompagné la flambée des prix en d’autres points du globe s’est peu manifestée en RDC. Crises institutionnelle et de légitimité politique y précèdent la crise actuelle et la recouvrent. Le potentiel agricole du pays est pourtant exceptionnel. Encore faudra-t-il qu’il ne soit pas exploité au profit de nouveaux prédateurs.

En un semestre, l’envolée vertigineuse des prix sous les effets conjugués de facteurs internes et externes [1] a accentué la pression sur des populations urbaines congolaises largement dépendantes de produits alimentaires importés. D’après les chiffres de la Direction des statistiques générales, entre septembre 2007 et février 2008, le prix du pain et des céréales a augmenté de 27,6% et le prix de l’huile a bondi de 32%. Et selon la Banque centrale du Congo (BCC), l’inflation, qui se maintenait en dessous des 10% fin 2007, est passée à 15% en mars 2008.

Hausse des prix, peu de remous

Les seules manifestations en réaction à la crise ont pris la forme de mouvements sectoriels épars pour la revendication d’ajustements salariaux, principalement en milieu urbain : grève des médecins du secteur public, grève des agents des régies financières de l’Etat (à la Direction générale des impôts, à l’Office des douanes et à la Direction générale des recettes administratives et domaniales) et grève des enseignants durant le second semestre 2008. Toutefois, cette montée subite de fièvre revendicatrice reste davantage liée à un contentieux salarial ancien et aux promesses d’augmentation non tenues datant de février 2003 [2]. Au-delà, depuis plus d’une décennie, les revendications salariales sont un classique de la rentrée académique en République démocratique du Congo (RDC).

En milieu urbain, la crise est essentiellement vécue sur le mode de la crainte d’une perte de revenu. Comme le souligne Eugène Lubula, chercheur au LEAD – Laboratoire d’économie appliquée au développent, basé a Bukavu – l’absence de réaction collective sur le thème de la flambée des prix alimentaires s’inscrit dans une tendance croissante à la « désalarisation » et à l’informalisation amorcée depuis deux décennies. Si la faiblesse ou l’absence de revenu limite l’accès au marché, la majorité des foyers urbains (sur)vivent grâce à la polyactivité, et à un secteur informel pourvoyeur d’un revenu complémentaire. Ainsi, vu du côté des couches populaires, le Congolais moyen a redoublé de sa légendaire capacité de résistance. Sur les étals de certains marchés, l’offre de denrées en portions miniaturisées est un nouveau palliatif à la raréfaction du revenu et à l’effritement du pouvoir d’achat.

Sur le front institutionnel, les dirigeants ont multiplié les déclarations de bonne intention et les mesures symboliques ponctuelles – baisse des taxes à l’importation de biens de consommation courante, participation à une réunion ministérielle de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC) sur le thème [3], etc. –, comme si celles-ci pouvaient conjurer plus de trois décennies de désinvestissement et de léthargie dans le secteur agricole. Face aux revendications salariales à répétition, le gouvernement a remis en selle une structure restée nominale jusqu’alors : le Cadre permanent pour le dialogue social (CPDS). Une initiative qui a tout l’air d’une stratégie de l’éteignoir – il s’agit de gagner du temps en espérant engranger quelques ressources à redistribuer, dans un pays en pleine reconstruction dépourvu d’un budget à la mesure de ses besoins.

Ainsi, hormis les éditorialistes, de la presse kinoise essentiellement, rares sont les acteurs de la société civile qui se positionnent sur le thème de la crise alimentaire mondiale ou la relient aux embardées économiques du moment.

Crise institutionnelle et crise alimentaire

Vu du Sud-Kivu, d’où sont écrites ces lignes, c’est le même constat d’une distance, voire d’une indifférence, face à une menace planétaire toujours abstraite pour le plus grand nombre. Une diversité de facteurs pourrait éclairer les ressorts de cette apathie apparente. Mais l’explication majeure réside sans doute dans la superposition de deux crises, l’une institutionnelle, liée au destin politique singulier de la RDC, l’autre conjoncturelle, exacerbée par le mode d’insertion du pays dans la division internationale du travail.

La crise de légitimité politique, source d’instabilité depuis 1960, éclaire l’absence, pendant trop d’années, d’une politique planifiée de construction d’infrastructures de base et de stimulation de la production intérieure. L’extraversion économique éclaire en grande partie la dépendance et la sensibilité de l’économie du pays aux facteurs externes. En dépit de son énorme potentiel et de sa vocation agricole – près de 70% de la population vit en milieu rural et le paysannat familial assure 90% de la production agricole nationale –, la RDC a enregistré une régression régulière de ses performances productives, au point de ne plus être en mesure de satisfaire la demande alimentaire intérieure.

L’agriculture, l’élevage et la pêche, avancés comme des priorités dans les discours officiels, n’ont jamais bénéficié dans le budget national des crédits nécessaires à la mise en œuvre d’une véritable politique de sécurité alimentaire. Bien que sa contribution au PIB ait été de 50% en 2005, le secteur agricole congolais ne répond plus aujourd’hui qu’à une logique de subsistance. L’insécurité alimentaire et la sous-alimentation affectent plus de 70% de la population. L’incidence de la pauvreté, estimée à 70% pour l’ensemble du pays, est la plus prononcée dans les zones rurales, où 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour.

Au sortir des années 1990, la crise de légitimité politique a culminé dans un conflit régional aux effets sociaux et économiques dévastateurs. L’une de ses conséquences est le recentrage de l’économie congolaise sur l’exploitation des produits miniers et la marginalisation de son potentiel agricole. Dans la logique du gouvernement contesté de Kinshasa comme dans celle des mouvements rebelles de l’Est du pays, ce glissement répondait à la nécessité de soutenir l’effort de guerre.

Ainsi, le désinvestissement progressif dans le secteur agricole a relégué la population des campagnes dans une situation d’autarcie relative, tandis que les classes urbaines s’abonnaient aux produits alimentaires importés : riz, poulet, viande, sucre, tomates, poisson salé, oignons, huile, sel, lait, eau minérale, etc. La nouvelle crise - alimentaire -, s’inscrit donc dans le contexte d’une crise antérieure, dont elle épouse les contours. Les effets prolongés de la première masquent la seconde et en rendent l’appréhension problématique.

Promesses du code agricole : révolution verte congolaise ?

La voie de sortie de cette double crise passe obligatoirement par une redéfinition de la place de la RDC dans une division internationale du travail dont la nature inégalitaire est exacerbée par le contexte néolibéral. Ce qui suppose le démantèlement du schéma d’extraversion économique et la revalorisation du rôle de l’agriculture congolaise. C’est l’une des ambitions du « code agricole congolais » élaboré par le ministère congolais de l’agriculture (avec le concours d’experts de la Région wallonne de Belgique et de la FAO), qui entend faire de l’agriculture le moteur de la relance économique de la RDC. Dans la perspective des experts du ministère, la crise alimentaire mondiale pourrait même constituer une opportunité pour la RDC. Dans le contexte des changements climatiques qui affectent de plus en plus durement certaines zones de la planète - désertification, manque d’eau, baisse des rendements agricoles -, la RDC, compte tenu de sa position géographique, de sa taille et de ses atouts, pourrait devenir l’un des grands pays agricoles du continent. [4] .

A travers ce code agricole, l’ambition de l’Etat congolais est de formuler un projet de développement pour les 30 prochaines années qui puisse constituer un cadre de référence pour l’ensemble des acteurs du secteur. Il entend jeter les bases du refinancement de l’économie agricole et des infrastructures, rétablir la sécurité physique et l’équité dans l’accès et la répartition des terres, réduire la pression fiscale et les tracasseries qui limitent les échanges commerciaux de produits agricoles, promouvoir la recherche et l’accès des ruraux aux techniques performantes, etc. Incontestablement, cette initiative pourrait faire de l’agriculture le moteur de la relance économique de la RDC et la pierre angulaire de la stratégie de lutte contre la pauvreté développée par le programme du gouvernement congolais et ses partenaires. Le législateur congolais affirme donc son souci de rétablir un cadre institutionnel qui vise à protéger les agriculteurs - les grandes exploitations comme le paysannat familial [5].

Cependant, au-delà des bonnes intentions proclamées, le code agricole congolais peut aussi apparaître comme une initiative technocratique venue d’en haut, à l’opposé d’une dynamique qui serait le résultat de luttes sociales à la base. Les noyaux de mouvements paysans, toujours en structuration mais déjà cooptés, ont sauté dans le train de cette réforme plus qu’ils ne l’ont suscitée [6]. La genèse de ce code s’inscrit donc dans la longue série des « grandes gestes » de la modernisation dont regorge l’histoire des théories du développement.

On ne peut dès lors ignorer les craintes de ce chroniqueur du journal Le Phare (15 mai 2008), qui soulève, au-delà des ambitions d’un projet généreux, les risques d’une nouvelle dépossession de leur destin pour les Congolais : « Faut-il penser que, de la même manière que les codes minier et forestier ont favorisé la rafle des concessions minières et organisé le pillage des nos ressources et du sous-sol, la nouvelle approche suggérée par les experts de la FAO prépare l’invasion des terres arables, l’appauvrissement des petits paysans, l’expropriation des petits exploitants, la mort de l’agriculture de subsistance au profit de celle de rente ? »

« Sous le prétexte que la RDC pourrait nourrir plus de deux milliards de personnes ou produire des biocarburants, souligne encore le chroniqueur, le potentiel agronomique congolais pourrait justifier l’invasion du pays par une nouvelle race de prédateurs agricoles.  » La question est de savoir comment la RDC pourra appliquer un modèle qu’elle n’a jamais expérimenté sans être subjuguée par des acteurs extérieurs et renoncer à sa souveraineté. La formulation du projet n’indique en effet pas avec quels moyens financiers, techniques et humains il sera mené. En quoi les agrocarburants et autres cultures de rente pourront-ils assurer le développement de la RDC et nourrir ses populations, là où le cuivre, le diamant et le coltan ont profondément échoué malgré le long boom dont leur exploitation a bénéficié ? C’est tout l’enjeu de la nouvelle décolonisation du Congo.


Notes

[1Haute variabilité des quantités de certaines denrées en période de récolte, spéculation sur certains produits, hausse du prix du pétrole entraînant certains produits agricoles à la hausse, approvisionnement fluctuant et problématique de certaines villes.

[2Au terme de l’Accord dit de Mbundi, le gouvernement de transition (2003-2006) avait promis de revaloriser et d’harmoniser les barèmes salariaux de la fonction publique.

[3La CEEAC, composée de 10 pays de profils contrastés (du Tchad à São Tome en passant par l’Angola ou la RDC), a décidé fin juillet 2008 de créer un fonds spécial régional de développement agricole pour faire face à la crise alimentaire qui sévit dans la sous-région, avec l’objectif hypothétique d’élever à plus de 13% la part des budgets nationaux allouée à l’agriculture d’ici 2010.

[4En effet, comme le souligne le préambule du projet de loi relatif au Code agricole, « la République démocratique du Congo est l’un des rares pays africains à posséder une large gamme d’atouts pour son développement agricole : 80 millions d’hectares de terres arables dont 4 millions irrigables, une diversité de climats, un important réseau hydrographique, des étendues d’herbage et de savanes susceptibles de supporter un élevage de 40 millions de têtes de gros bétail. En outre, les forêts tropicales qui occupent 125 millions d’hectares constituent une réserve importante de biodiversité. La surface disponible pour aménager l’irrigation est évaluée à 4 millions d’hectares. Le potentiel halieutique est estimé à 707 000 tonnes de poisson par an ».

[5L’esprit du code entend associer les cultures vivrières, base de l’alimentation (manioc, riz, bananes, maïs, haricots…) et les cultures de rente, qui apportent un complément de revenu (café, cacao, palmier), sans oublier l’élevage et la pêche.

[6Le législateur a voulu rassurer sur ce point en mettant en place le Conseil agricole rural de gestion, une structure de concertation décentralisée associant les différents acteurs du monde rural, l’exécutif et le législatif (provincial), l’administration, le secteur privé, les associations et syndicats de producteurs, les universités et les centres de recherche, bref la société civile au sens large.

Etat des résistances dans le Sud - 2009. Face à la crise alimentaire

Cet article a été publié dans notre publication trimestrielle Alternatives Sud

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