La « justice fiscale » est un enjeu central du débat politique contemporain. Pour deux raisons au moins. D’abord, parce que les riches et les entreprises paient de moins en moins d’impôts. Selon le FMI, les taux marginaux supérieurs [1] de l’impôt sur le revenu sont ainsi passés de 60% environ en moyenne dans les années 1980 à un peu plus de 40% en 2017 dans les économies avancées, et moins de 30% dans les pays à faibles revenus (FMI, 2018). De son côté, l’impôt sur les sociétés a connu une baisse similaire. De plus de 40% en moyenne à l’échelle mondiale au début des années 1980, il n’était plus que de 25% en 2015 (FMI, 2018).
À cette diminution des taux viennent s’ajouter les pertes liées à l’évasion et à « l’optimisation » fiscales massives que pratiquent aujourd’hui ces deux catégories d’acteurs. 40% des profits des multinationales seraient ainsi délocalisés dans les paradis fiscaux (dont le nombre est passé d’une vingtaine seulement dans les années 1970 à entre septante et nonante-deux aujourd’hui), lesquels abriteraient en outre 8% de la richesse financière des particuliers (Zucman, 2017). Le manque à gagner pour les États est colossal : les estimations varient d’environ 350 milliards d’euros par an à l’échelle mondiale (Zucman, 2017) à un peu moins de 1000 milliards pour la seule Union européenne (Murphy, 2019) !
Cette situation n’est évidemment pas le fruit du hasard. Elle tire son origine du tournant néolibéral des années 1980 qui l’a à la fois légitimée et favorisée (CETRI, 2007 ; Palan, dans ce même volume). D’un point de vue idéologique, tout d’abord, le néolibéralisme considère en effet l’impôt comme injuste et inefficace. Injuste parce qu’il pénaliserait le mérite au profit de l’assistanat. Inefficace, parce que, ce faisant, il briderait l’innovation et l’investissement. D’où la multiplication des baisses d’impôts et autres cadeaux fiscaux dont on espérait – en vain – qu’ils finiraient par stimuler la croissance. D’un point de vue plus structurel ensuite, la libéralisation financière qui a accompagné le tournant néolibéral a également augmenté et facilité les possibilités d’évasion fiscale, tout en contribuant à placer les États en concurrence – notamment fiscale – pour attirer les investisseurs et/ou pour les empêcher de partir.
Deux poids, deux mesures
Or – et c’est la deuxième raison qui explique la centralité actuelle de la « justice fiscale » –, ces évolutions sont intervenues alors que ce même néolibéralisme ne cesse depuis quarante ans de demander aux populations de faire des « efforts ». Des efforts pour réduire les déficits, en coupant dans les services publics ou dans la protection sociale. Des efforts pour assurer la « compétitivité » de l’économie, en rognant sur les salaires ou plus largement sur les conditions de travail. Des efforts, encore, pour financer la nécessaire transition écologique, à coups de « fiscalité verte » et d’appels à une consommation plus responsable (CETRI, 2013).
Las, ce « deux poids deux mesures » a d’autant plus de mal à passer que le mythe du « ruissellement » [2] a fait long feu et qu’il est désormais évident que l’enrichissement des plus riches ne profite… qu’aux plus riches. En 2017, l’ONG Oxfam estimait ainsi que 82% de la richesse créée durant l’année au niveau mondial avait profité au 1% les plus riches, la moitié la plus pauvre de l’humanité n’ayant quant à elle rien reçu… (Oxfam, 2018).
Pire, non seulement cet argent ne « ruisselle » pas, mais son accumulation a un coût (écologique, social, économique) que l’on demande également aux populations d’assumer. Un exemple parmi d’autres, la multinationale pétrolière Chevron – championne de l’évasion fiscale – vient de remporter la bataille judiciaire qui l’opposait au gouvernement équatorien [3] après avoir causé le pire désastre environnemental de l’histoire de l’Amazonie (Petitjean, 2018). L’amende record qui lui avait été infligée – 9,5 milliards de dollars – représentait l’équivalent de ce qu’elle détourne chaque année vers les paradis fiscaux… [4]
Dans ces conditions, on comprend que le sentiment d’injustice fiscale soit de plus en plus largement répandu. À cet égard, la multiplication des scandales et autres révélations chocs (« Swiss Leaks », « Lux Leaks », « Panama Papers », etc.) doit au moins autant s’interpréter comme une cause que comme une conséquence de ce « ras-le-bol » généralisé. En effet, ils révèlent finalement moins des pratiques nouvelles que des pratiques de moins en moins tolérées…
Double injustice pour le Sud
Au Sud, cette crise de la fiscalité prend toutefois une tournure encore plus aiguë. D’abord, parce que ce sont les pays en développement qui sont les plus touchés par l’évasion fiscale, du moins si l’on rapporte les pertes à la taille du PIB (Cobham et Janský, 2017). En effet, en valeur absolue, ce sont les plus grosses économies qui sont les plus touchées, États-Unis et Chine en tête, mais si l’on ramène ces montants à la taille de leur économie respective, alors « l’intensité des pertes est sensiblement plus grande dans les pays à faibles et moyens revenus, mais aussi en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et Caraïbes et en Asie du Sud par rapport aux autres régions » (Cobham et Janský, 2017 : 6). À ce petit jeu, c’est l’Afrique qui perd le plus. Dans le présent volume, Claire Kumar nous rappelle ainsi que le continent africain « a la plus grande proportion de richesses placées à l’étranger de toutes les régions du monde ». En valeur absolue, c’est toutefois l’Asie qui a ce triste privilège régional, « la région contribuant environ à 40% de la finance illicite annuellement » selon Neeti Byani (dans ce numéro).
Cette situation est évidemment d’autant plus dramatique que c’est dans ces régions que les besoins en investissements publics sont les plus criants. Prenons simplement les fonds requis pour financer les nouveaux « Objectifs de développement durable » adoptés par les Nations unies en 2015 (Godin, 2015), Biyani (dans ce numéro) souligne que « bien que les estimations varient grandement, les projections pour l’élimination de la pauvreté se situent entre 66 milliards de dollars annuels à 5 à 7 billions au total, tandis que les besoins en investissements se situeraient autour de 2,5 billions par an ». Une gageure, quand on sait que les pays en développement voient s’échapper chaque année vers les paradis fiscaux l’équivalent de trois à seize fois ce qu’ils reçoivent en aide au développement ou en investissements directs étrangers (Kumar, dans ce numéro)…
Des fiscalités nationales particulièrement régressives
C’est également au Sud que l’on retrouve les fiscalités nationales les plus régressives. D’un point de vue étroitement quantitatif, les niveaux de perception continuent d’être sensiblement inférieurs au Sud qu’au Nord. En pourcentage du PIB, les impôts représentent ainsi environ 20% du PIB pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 18% pour l’Asie-Pacifique et 15% pour l’Afrique, contre environ 30% en moyenne dans les économies les plus « avancées » (FMI, 2018). Mécaniquement, le potentiel « redistributif » de l’impôt s’en trouve ainsi nécessairement diminué.
Mais c’est aussi et surtout le cas d’un point de vue qualitatif, la structure même de l’impôt tendant également à être plus régressive au Sud qu’au Nord. En témoigne, en particulier, le poids des impôts « indirects » [5] – TVA en tête – dans le total des perceptions (FMI, 2018) et, a contrario, la sous-utilisation des impôts au potentiel plus redistributif, comme l’impôt sur le revenu ou encore les taxes sur la propriété.
Citant une étude de 2012 du Forum africain de l’administration fiscale, Kumar (dans ce numéro) souligne ainsi que « Sur huit pays sélectionnés, cinq tirent l’essentiel de leurs recettes de la fiscalité indirecte (Zimbabwe, 59% ; Malawi, 57% ; Sierra Leone, 55% ; Nigeria, 54% et Ghana, 53%) », alors que la moyenne était plutôt de 33% en 2010 dans les pays de l’OCDE. À l’inverse, dans ces mêmes pays, l’impôt sur le revenu des particuliers représentait 24 % du revenu fiscal en 2010, contre 13,6% seulement en Afrique.
Même situation en Amérique latine, où les impôts indirects sont passés d’une valeur de 2,4% du PIB en 1990 à 6% du PIB en 2015, tandis que les impôts directs, eux, n’augmentaient que de 0,68% sur la même période (Berajano et al., dans ce numéro ; voir aussi Duterme, 2018)… Et l’Asie n’est pas en reste, « l’impôt sur le revenu des particuliers représente moins de 2% du PIB en Asie, comparé à 8% dans les pays développés. Beaucoup de pays asiatiques dépendent aussi fortement des taxes indirectes, avec des taux de TVA moyens autour de 12,5% dans la région » (Biyani, dans ce numéro).
Ajoutons à ça les multiples avantages et cadeaux fiscaux octroyés de gré ou de force aux entreprises et aux investisseurs étrangers – en Amérique latine, leur coût (4,6% du PIB) équivaut à celui de la protection sociale (5% du PIB), de l’éducation (4,6%) ou encore de la santé (3,4%) (Berajano et al., dans ce numéro) –, et vous obtenez des systèmes fiscaux qui peinent à lutter contre les inégalités, quand ils ne les aggravent pas (FMI, 2018). Il en va ainsi des inégalités entre riches et pauvres, mais aussi entre grandes et petites entreprises ou encore entre hommes et femmes, comme l’illustrent notamment les contributions de Caroline Othim et de Mae Buenaventura et de Claire Miranda dans cet Alternatives Sud.
Des explications internes… et externes
Plusieurs facteurs expliquent cette double injustice fiscale qui frappe tout particulièrement le Sud, à la fois nationale et internationale. Les premiers sont liés à l’histoire et aux structures politiques et sociales propres à la plupart des pays qui le composent. Faiblesse des États, manque de moyens humains et matériels, corruption, poids de l’économie informelle, autant d’éléments sur lesquels se plaisent à insister les grandes organisations d’aide au développement [6] et qui mettent l’accent sur la responsabilité des États concernés. Cette attitude est d’autant plus hypocrite que ce sont souvent les mêmes organisations qui ont défendu – voire imposé – les politiques néolibérales qui ont largement contribué à aggraver les problèmes en question (Magalhães ; Buenaventura et Miranda, dans ce numéro).
En outre, une telle approche ignore les facteurs externes qui expliquent au moins autant la situation fiscale du Sud, et qui sont liés à la position périphérique qu’occupent la plupart de ces États au sein de l’économie politique mondiale. Celle-ci se traduit, tout d’abord, par une forte dépendance aux investissements étrangers et aux firmes multinationales, que ces États cherchent généralement à attirer ou à garder par le biais de cadeaux fiscaux dont l’efficacité reste toutefois à prouver (Berajano et al. ; Biyani ; Kumar, dans ce numéro). Ensuite, elle fait de ces États le terrain de jeu privilégié d’une finance « offshore » qui n’hésite pas à en exploiter les faiblesses administratives et réglementaires au détriment des populations locales et de leur environnement (Deneault, 2010).
Enfin, elle se manifeste d’un point de vue politique et institutionnel, les États du Sud étant les grands perdants d’une « gouvernance fiscale mondiale » dominée par le Nord et la finance. « Un petit nombre de pays riches domine depuis longtemps le champ fiscal en imposant leur volonté à travers des régimes informels, des réseaux transgouvernementaux et des institutions plus ou moins rigides », nous explique ainsi Magalhães, dans ce numéro. Au centre de ce système, l’OCDE, dont la position s’est encore renforcée depuis la crise de 2007-08 et qui fait aujourd’hui de facto office d’« organisation mondiale de la fiscalité ».
Un consensus de plus en plus large
Depuis la fin des années 1990 et plus encore depuis la crise de 2007-08, le combat pour la justice fiscale a toutefois enregistré un certain nombre de victoires importantes (Palan, dans ce numéro). On pense notamment aux efforts menés dans le cadre de l’OCDE pour mettre fin au secret bancaire ou pour s’attaquer aux pratiques fiscales agressives des multinationales. Certes, ces initiatives font l’objet de nombreuses critiques dont cet Alternatives Sud se fait largement l’écho, mais elles ont néanmoins le mérite d’exister.
On pense toutefois aussi, et peut-être surtout, aux avancées symboliques enregistrées dans la lutte contre l’injustice fiscale, dont témoigne notamment la fréquence avec laquelle le sujet s’invite dans les médias et les grandes rencontres internationales. Que le FMI en appelle lui-même à davantage « taxer les riches » en dit long sur le climat qui règne à l’heure actuelle en la matière au niveau mondial (FMI, 2017). Le constat d’une crise profonde de la fiscalité semble donc aujourd’hui de plus en plus largement partagé. Mais les solutions, elles, continuent de diviser.
Pour un ordre fiscal mondial plus juste
Du point de vue international, le premier contentieux porte sur le choix de l’enceinte adéquate. Nous l’avons dit, à l’heure actuelle, c’est surtout l’OCDE – soutenu par le G20 – qui fait office d’instance de régulation par défaut, avec toutefois de sérieux problèmes de légitimité, de cohérence et de mandat (Magalhães, dans ce numéro). De nombreux acteurs de la société civile et des pays du Sud se rallient dès lors à la proposition que Bejarano et al. formulent dans ce volume de la manière suivante : « Il est impératif de s’efforcer de créer dans le cadre des Nations unies un organisme intergouvernemental international de la fiscalité démocratique, doté d’un budget propre et d’un pouvoir de décisions contraignantes ».
Cette proposition ne fait toutefois pas l’unanimité, Magalhães considérant, par exemple, que « créer un autre organe techno-bureaucratique supranational avec pouvoirs contraignants ne résoudra par le déficit de légitimité politique ; au contraire, il pourrait bien l’aggraver » (dans ce numéro). Selon lui, en effet, « les pays marginalisés n’ont pas besoin d’un autre forum technique pour avancer vers un régime fiscal international plus juste, et ils ne devraient pas avoir à attendre une réforme en profondeur de l’ONU. Pour faire avancer leur cause, ces pays ont besoin de meilleures opportunités d’articulation politique à différents niveaux et régions, y compris en dehors du système de l’ONU ».
Du point de vue des mesures à prendre, une seconde ligne de fracture sépare ceux pour qui il est possible de réformer la fiscalité dans le cadre de l’économie mondiale actuelle et ceux pour qui le problème est plutôt lié à son fonctionnement même. Les premiers considèrent ainsi l’évasion fiscale et les injustices actuelles comme des anomalies qui résulteraient de règles mal conçues et/ou de pratiques sinon toujours criminelles, du moins mal intentionnées. Au contraire, les seconds insistent sur le caractère structurel du problème, lequel serait la conséquence logique d’une économie dérégulée et financiarisée, dont il est devenu aujourd’hui impossible de distinguer nettement le licite de l’illicite (CETRI, 2007 ; Deneault, 2010). Selon que l’on partage l’un ou l’autre point de vue, on plaidera donc plutôt pour de la « transparence » et un « meilleur échange de données » ou plutôt pour des mesures qui s’attaquent à l’architecture même de la mondialisation financière, par exemple à travers une remise en cause des traités de libre-échange (CETRI, 2017) ou encore du sacro-saint principe de libre-circulation des capitaux.
Une « justice fiscale » multidimensionnelle
Du point de vue des fiscalités nationales maintenant, des débats similaires ont lieu. Certains se demandent ainsi s’il est pertinent d’aider les États du Sud à se doter d’administrations fiscales performantes tout en laissant intactes les règles de la concurrence internationale qui les poussent à multiplier les mesures de dumping fiscal (Kumar, par exemple, dans ce numéro). Mais, les appels à une plus grande « justice fiscale » posent surtout la question de ce que l’on entend exactement par une fiscalité « juste ». À lire certains acteurs de l’aide au développement, celle-ci serait d’abord et avant tout synonyme de « fiscalité efficace », les leviers privilégiés étant alors ceux de la lutte contre la corruption et le développement des capacités techniques des États (voire l’exemple en note 7).
Pour d’autres toutefois, plus nombreux, « la justice fiscale commence par une approche basée sur un système équilibré de droits et d’obligations, dans lequel la collecte des ressources économiques est progressive, équitable et transparente, tout en garantissant le financement de politiques publiques visant à améliorer la qualité de la vie des personnes. Tout ceci dans l’objectif d’atteindre de hauts niveaux d’équité socio-économique, en harmonie avec l’environnement » (Bejarano et al., dans ce volume).
On le voit, une telle logique nécessite de réfléchir à la fois aux enjeux de la perception et de l’affectation des ressources fiscales. Elle nécessite également de réfléchir aux articulations à trouver entre les différentes dimensions de la justice que l’on souhaite promouvoir : écologique, économique, sociale, de genre. Car, comme l’ont notamment rappelé les « gilets jaunes » en France et comme le soulignent bien Pérez et al. dans cet Alternatives Sud, la « fiscalité verte », par exemple, peut aussi bien servir un agenda étroitement néolibéral qu’une réelle transition écologique et solidaire. Et de la même manière, Othim ou encore Buenaventura et Miranda nous rappellent également, toujours dans ce numéro, qu’il est tout aussi important d’intégrer le genre dans les débats sur la fiscalité, dans la mesure où ses effets sont loin d’être neutres en la matière, sans pour autant les penser indépendamment des autres considérations économiques, sociales ou encore écologiques.
La « justice fiscale » comme fin ou comme moyen ?
Enfin, le débat sur la justice fiscale devrait également porter sur les limites mêmes de la fiscalité comme outil d’émancipation. Dans son texte repris dans ce volume, l’écologiste argentin Brailovsky dénonce ainsi la logique qui sous-tend la taxation des industries polluantes et qui revient, selon lui, à les autoriser à « payer pour contaminer ». De la même manière, on peut s’interroger sur la pertinence d’une taxe sur la finance spéculative qui refuserait d’envisager la possibilité de l’interdire tout simplement (Lordon, 2010).
C’est que taxer revient inévitablement à légitimer [7]. Or, dans certains cas, à trop vouloir forcer des entreprises ou des individus à payer « leur juste part », on en oublie que le problème n’est pas tant ce qu’ils redistribuent (ou pas) sous forme d’impôt, mais bien ce qu’ils accumulent en premier lieu, ainsi que les conditions dans lesquelles ils l’accumulent. De ce point de vue, que la « justice fiscale » connaisse aujourd’hui un tel succès dans des cercles comme le FMI ou le Forum de Davos n’est pas anodin, dans la mesure où ce cadrage leur permet en réalité de chercher des solutions à de nombreux problèmes économiques, sociaux et environnementaux dont ils ne veulent surtout pas attaquer les causes premières.
En 2013, l’économiste Jean Gadrey expliquait à ce propos que « sans stratégie de reprise en main de la finance et de limitation de la rente actionnariale, de transition écologique et sociale, de revenu minimum décent couplé à un revenu maximum acceptable, de partage du travail comme outil principal du plein-emploi, et surtout sans une profonde démocratisation de l’économie, une réforme fiscale isolée, même bien orientée, est vouée à ne donner que des résultats fragiles et réversibles. Ou, dans le pire des cas, des explosions orchestrées de ‘ras-le-bol’ » (Gadrey, 2013).
Cela ne signifie évidemment pas que la fiscalité doit être rejetée en bloc, comme le pensent certains marxistes qui lui reprochent son caractère « réformiste » (par exemple Kinder, 2012). Ce serait en effet oublier un peu vite ce qu’elle a permis et ce qu’elle pourrait permettre encore en termes d’avancées sociales concrètes. En revanche, il faut se garder de la fétichiser et de la voir comme une fin en soi, alors qu’il ne s’agit que d’un moyen parmi d’autres, et pas toujours le plus adéquat. Pour citer à nouveau Jean Gadrey, « Une fiscalité juste dans un système qui nourrit l’injustice est un rêve inaccessible. Autant lui préférer une fiscalité juste qui soit l’une des composantes d’une politique de l’égalité » (Gadrey, 2013).