Le lait est renversé
On le pressentait, c‘est désormais confirmé : le lait est renversé. Les élections n’auront pas lieu cette année, ni même l’an prochain. Ce qui a manqué ? L’argent peut-être, la préparation sérieuse sans doute, mais surtout la volonté politique. Le pouvoir est à blâmer car tout a été fait (ou pas fait…) pour qu’il soit impossible d’organiser le scrutin dans les délais constitutionnels et qu’un « rabiot » de deux ans au moins soit accordé au président Kabila.
Le lait est renversé, car la population gronde, qu’en septembre déjà le sang a coulé. Poussés dans la rue, des jeunes ont brûlé vifs deux policiers et entamé des pillages. Appelés en renfort, des militaires ont tiré à bout portant et fait, au moins 50 morts. Et demain, que va-t-il se passer ? Le dialogue qui vient de se conclure avec une partie de l’opposition fera-t-il rentrer le lait dans la bouteille, réussira-t-il à calmer les esprits, repartira-t-on comme si de rien n’était ? Certainement pas : les délais sont inacceptables, les signataires ne représentent pas la totalité de la classe politique et même l’inclusion des absents ne garantira l’apaisement. Comment croire que l’association d’Etienne Tshisekedi, qui, l’été dernier encore, négociait pour son fils le poste de Premier Ministre et qui fut depuis Mobutu l’homme de toutes les volte face, suffirait à calmer le jeu ?
Ce qui est sûr, c’est que si le lait est renversé, la confiance rompue, il faut aujourd’hui veiller à ne pas briser la bouteille. Et surtout ne pas risquer de dépecer la vache elle-même, ce Congo si convoité, qui n’a pas encore échappé aux risques d’implosion et de rebellions diverses. Les progrès enregistrés depuis quinze ans sont loin d’être irréversibles, les acquis peuvent encore être annulés, par la révolte populaire sinon par la guerre.
La tâche du futur Premier Ministre s’apparentera à celle de Sisyphe : auprès du président Kabila, il devra exiger un engagement clair, avec une promesse de retrait assortie de dates précises, et surtout il devra avoir les mains libres pour diriger en toute indépendance. Ce qui supposerait, au minimum, que des technocrates sans allégeance politique soient nommés aux postes clés : les finances, l’économie, l’Intérieur, la banque nationale. Rétablir la confiance, c’est aussi assécher les réseaux mafieux, redistribuer plus équitablement les ressources, privilégier le « social ». Même au bord du précipice, il n’est pas interdit de rêver.
Pas d’élections au Congo avant 2018
L’accord issu du « dialogue national » est accueilli sans enthousiasme
Le chef de la diplomatie française Jean-Marc Ayrault a sans doute exprimé l’opinion de la plupart des capitales occidentales en déclarant que « la décision de reporter à avril 2018 l’élection présidentielle en République démocratique du Congo, prise sans l’aval de l’opposition, n’était pas une réponse à la crise. »
IL a précisé qu’ « il n’y avait qu’une façon de sortir de la crise : faire savoir que le président Kabila annonce qu’il ne se représente pas et fixer une date pour l’élection ». La veille, l’Union européenne avait adopté une position tout aussi nette, exigeant, menace de sanctions à la clé, un processus de dialogue plus inclusif, c’est-à-dire ouvert aux grandes familles politiques du pays, (donc au parti de Tshisekedi) à la société civile et à la conférence des évêques catholiques.
Conforté par ces réticences occidentales, le Rassemblement réunissant les partis d’opposition ayant refusé de participer au dialogue a contesté le fait qu’aux termes de l’accord le chef de l’État puisse rester en place au-delà du 20 décembre et que le scrutin ne soit organisé qu’en avril 2018 au plus tôt. Un « carton jaune » a été symboliquement adressé au chef de l’État et le Rassemblement a appelé les Congolais à observer le 19 octobre une journée « villes mortes » sur toute l’étendue du territoire. Cette action de protestation non violente, invitant les Congolais à rester chez eux plutôt que descendre dans la rue, devrait permettre d’éviter les violences enregistrées lors des manifestations des 19 et 20 septembre. La répression avait fait une cinquantaine de morts et deux policiers avaient été brûlés vifs.
L’accord forgé après plus de six semaines de négociations laborieuses, chapeautées par l’ancien président Edem Kodjo, mandaté par l’Union africaine, sera-t-il de nature à apaiser les tensions ? On peut en douter tant les inconnues demeurent nombreuses. Ainsi, outre l’incertitude sur les intentions du président Kabila, on ignore encore qui sera le Premier Ministre, censé être issu de l’opposition. Même si Vital Kamerhe, le président de l’UNC (Union pour la nation congolaise) est donné pour favori, beaucoup d’autres prétendants au poste se bousculent encore et des voix réclament un « deuxième dialogue » qui, lui, inclurait les partis jusqu’à présent réfractaires et tiendrait compte de leurs exigences.