Les révélations des Paradise Papers, suite à la fuite de données du cabinet d’avocat Appleby basé aux Iles Bermudes, viennent à nouveau éclairer l’ampleur des pratiques de l’ingénierie fiscale internationale. Selon le FMI, les pratiques d’optimisation fiscale des firmes transnationales coûtent annuellement 600 milliards de dollars en recettes fiscales non perçues par les Etats au niveau mondial. Il faut ajouter à cela quelque 200 milliards de dollars annuels d’impôts que les ménages les plus riches parviennent à éviter en dissimulant frauduleusement leur patrimoine dans les paradis fiscaux (80 % de ces montants sont le fait des 0,1 % les plus riches de la planète). Il ne s’agit donc pas simplement de quelques dérapages isolés, mais d’un phénomène massif et systématique, qui aboutit à un résultat aussi clair que préoccupant : l’évasion fiscale organisée par les firmes transnationales et les grosses fortunes mettent en péril les capacités budgétaires des Etats et exacerbent les inégalités.
Un premier pas
Pourtant, des solutions existent. Il suffit d’un minimum de volonté politique pour les mettre en œuvre. Une étape importante a été franchie en vue de lutter contre la fraude fiscale internationale la plus simple pratiquée par les particuliers, à savoir l’ouverture d’un compte en banque à l’étranger protégé par le secret bancaire. L’Union européenne et l’OCDE ont en effet décidé de juguler le problème en mettant en place un régime d’échange automatique d’informations sur les comptes en banques, en vue de mettre fin au secret bancaire à l’horizon 2018. De la sorte, dès qu’un compte est ouvert dans un pays tiers par un non résidant, l’administration fiscale du pays où réside cette personne sera automatiquement informée et pourra donc la taxer en conséquence. On doit toutefois regretter que ce mécanisme ne concerne à ce stade que les économies les plus avancées, ce qui laisse au bord de la route les finances publiques des pays en développement.
Imposer un registre public
En outre, les choses se compliquent lorsque le fraudeur dissimule son identité, via une société-écran, un trust ou une fondation, avant de placer son argent offshore pour frauder le fisc. La solution consiste à imposer un registre public, accessible à tous, détaillant les bénéficiaires effectifs et les vrais propriétaires de ces sociétés-écrans, trusts et autres fondations. En 2015, l’Union européenne a produit la première réglementation en la matière, obligeant certaines de ces entités à être inscrites sur un registre central qui mentionne l’identité réelle des leurs bénéficiaires effectifs. Ce registre n’est toutefois pleinement accessible qu’aux autorités et aux membres du public pouvant faire valoir un « intérêt légitime » à le consulter. Le débat n’est cependant pas terminé, car un bras de fer est en cours entre le Parlement européen, qui s’est prononcé pour rendre ce registre totalement public, et le Conseil des Etats membres qui tente de préserver la condition d’« intérêt légitime ».
Une solution : la transparence
En réalité, comme le démontrent les révélations des Paradise Papers, la source la plus importante de l’évasion fiscale internationale concerne l’optimisation fiscale mise en œuvre par les multinationales, via la manipulation des « prix de transfert » entre les différentes filiales d’une même firme. Ces pratiques, généralement légales, permettent de faire apparaître artificiellement des profits dans des filiales localisées dans des paradis fiscaux – et d’ainsi éviter de payer une bonne partie de l’impôt dans les pays où les activités ont effectivement lieu. La solution est la transparence : imposer aux firmes transnationales la publication d’un « rapport pays par pays » de leurs activités, chiffre d’affaires, salariés, profits et impôts. De la sorte, il ne faudrait plus attendre des révélations de type Paradise Papers pour connaître le détail des manœuvres de firmes comme Nike ou Apple. La publication de tels rapports pays par pays permettrait ensuite d’imposer une fiscalité unitaire aux firmes transnationales, en cessant de prendre en compte de façon séparée chaque filiale, mais au contraire en taxant le profit global de l’ensemble du groupe, après l’avoir réparti en tant que base taxable entre les différents pays d’implantation sur base d’éléments objectifs.
Encore trop d’échappatoires
L’Union européenne a avancé dans cette voie, mais de manière insuffisante : selon la première lecture du Parlement européen, non seulement seules les firmes européennes dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros doivent publier un rapport pays par pays, mais une dérogation est en outre octroyée pour les données « commercialement sensibles » – un concept suffisamment vague que pour permettre tous les échappatoires.
On notera également que les révélations qui font avancer la cause de la transparence et de la justice fiscale sont souvent l’œuvre de lanceurs d’alerte qui risquent gros pour informer le public. Or la directive européenne sur le secret des affaires ne protège pas les lanceurs d’alerte lorsqu’ils révèlent des faits qui ne sont pas illégaux – ce qui est typiquement le cas en matière d’optimisation fiscale.
On le voit, l’évasion fiscale à grande échelle, légale ou non, n’est pas une fatalité. Au contraire, les solutions sont connues. A une époque où l’austérité budgétaire et la montée des inégalités mettent en péril nos modèles sociaux et démocratiques, il serait irresponsable de ne pas tout mettre en œuvre pour les appliquer.