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Nicaragua : le règne d’Ortega, la trahison de Sandino

C’est fait. L’ancien commandant guérillero Daniel Ortega vient d’être réélu à la tête du Nicaragua. Il va entamer de la sorte son quatrième mandat présidentiel (les trois derniers consécutifs), mais aussi sa troisième décennie comme chef de l’État… La première, lointaine déjà, fut celle des années 1980, lorsque dans la foulée d’une révolution populaire qui renversa la dynastie dictatoriale des Somoza, soutenue jusque-là par les Etats-Unis, les révolutionnaires « sandinistes » (du nom du rebelle Sandino, assassiné par le premier Somoza en 1934) tentèrent de construire un pays plus juste, plus égalitaire et souverain. Avec des hauts et des bas. Entre crispations internes – le dirigisme d’un pouvoir national sûr de sa mission émancipatrice – et agressions externes – l’interventionnisme d’un président Reagan sûr de sa mission anticommuniste.

En 1990, épuisés par les sacrifices consentis dans un contexte de mobilisation militaire permanente, de pénurie et d’hyperinflation, les Nicaraguayens vont se défaire du gouvernement sandiniste dans les urnes. Place à la « démocratie libérale », qui va d’ailleurs s’étendre, à la faveur de la fin de la Guerre froide, sur tout l’isthme centro-américain, avec ses succès (fin des conflits armés) et ses échecs (hausse des inégalités). En sous-main mais également au grand jour, l’inamovible secrétaire général du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), Daniel Ortega, va alors se donner les moyens, licites et illicites, de reconquérir le pouvoir, qu’il finira par recouvrer aux élections présidentielles de 2006, après avoir échoué deux fois encore, en 1996 et 2001.

Accaparement et instrumentalisation du parti sandiniste à ses fins personnelles, pacte « contre nature » avec le président ultralibéral Arnoldo Aleman, réconciliation et alliances avec les puissants ennemis d’hier (hiérarchie catholique, fédération patronale…), ratification du Traité de libre-échange avec les Etats-Unis, réformes électorales opportunes, emprise rampante sur les différents pouvoirs de l’État et au-delà (armée, justice, tribunal électoral, médias), cooptation d’une armée d’obligés autour du clan familial… le tout, ajouté au culte du « Comandante Daniel » dans les bases populaires du sandinisme, aura réussi à ramener le stratège Ortega à la tête du Nicaragua, pour s’y installer.

Pour s’y installer et y mener une politique qualifiée de « chrétienne, socialiste et solidaire » par la présidence, taxée d’« autoritaire, néolibérale et corrompue » par les dissidents sandinistes, ou encore de « populiste responsable » par les milieux d’affaires. Une politique aux accents sociaux certains (retour à la gratuité de l’éducation et de la santé, plans d’aide divers), assimilés cependant par l’opposition à des pratiques « clientélistes et assistancialistes ». Mais aussi une politique qui fait la part belle aux intérêts privés des secteurs dominants, agraires et financiers, et aux investisseurs extérieurs, exemptés de règles sociales ou environnementales dignes de ce nom. Une politique de reprivatisation d’entreprises nationalisées, de reconcentration de la terre et d’exonération fiscale pour le grand business.

Tandis que Forbes et The Economist célèbrent « le miracle nicaraguayen » (les investissements directs étrangers ont quintuplé entre 2005 et 2015, tout comme les exportations), les anciens compagnons de lutte d’Ortega, fâchés avec l’« ortéguisme », dénoncent, eux, l’explosion des inégalités, du secteur informel et des bénéfices des grandes entreprises. Le patrimoine des 200 Nicaraguayens les plus fortunés (0,003% des 6 millions de nationaux) équivaut ainsi à près de trois fois le PIB national. Les perspectives apparaissent d’autant plus problématiques que la double conjoncture internationale dont a bénéficié le leader sandiniste ces dix dernières années a basculé : le boom du prix des matières premières s’est retourné, l’aide massive du Venezuela d’Hugo Chávez s’est tarie.

Le Nicaragua reste aujourd’hui, après Haïti, le pays le plus pauvre du continent et parmi les plus vulnérables aux ouragans et aux séismes. Daniel Ortega vient pourtant de l’emporter une nouvelle fois, dans un climat de relative indifférence et de forte abstention. Sans concurrents autres qu’une poignée de « partis satellites » fragmentés ou insignifiants, sans la moindre observation indépendante autorisée du scrutin, le FSLN va accroître encore sa majorité absolue à l’Assemblée, au terme de ce que les dissidents sandinistes auront qualifié de « farce électorale ». Comble ubuesque de l’épisode, c’est l’épouse même du président Ortega, Rosario Murillo, première ministre de fait jusqu’ici, qui occupera désormais la vice-présidence de la République. « Toujours sandinista », le Nicaragua ?

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