Poids des conditionnements historiques et brouillage politico-idéologique
L’histoire du Congo a été marquée par une succession des coups d’Etats et assassinats politiques au sommet de l’Etat. Ces évènements sociopolitiques majeurs, ont justifié, selon les contextes, les stratégies individuelles et/ou collectives de conquête et de conservation du pouvoir. Plusieurs acteurs ont joué un rôle capital dans les bouleversements intervenus dans le champ social global, étatique et politique. Il y a : les syndicalistes, l’armée, les leaders politiques, les jeunes et les milices politiques et/ou bandes armées.
Les syndicalistes et l’armée, responsables de la chute de Fulbert Youlou
Trois ans après l’indépendance du Congo, le président l’abbé Fulbert Youlou fait face à un premier soulèvement populaire du 13 au 15 août 1963, masquant l’ampleur des rivalités ethno-régionales. Trois caractéristiques sociologiques se singularisent à ce soulèvement urbain : l’appartenance pluri- ethnique des leaders syndicaux (J. Boukambou, A. Matsika, A. Thauley Ganga, P. Ockiemba Morlendé, G. Pongault, Doudy Ganga) qui ont joué le rôle de déclencheur ; la diversité et l’unanimité de ses forces motrices spontanées (jeunes, intellectuels, armée) et la radicalité des récriminations des contestataires contre une certaine gestion du pouvoir d’Etat. [1]
L’idée de l’abbé Fulbert Youlou de créer un parti unique et de susciter l’unification syndicale sur une base gouvernementale auront été au cœur du bras de fer avec les syndicalistes. Il est reconnu par tous que, c’est grâce au mouvement syndical que l’insurrection dite Révolution des trois glorieuses des 13,14 et 15 août 1963 a été déclenchée et conduite jusqu’ au point de la rupture. L’Armée est apparue comme un arbitre important. Elle est descendue dans l’arène politique par ce que d’une part, l’unité du pays paraissait compromise et d’autre part, par ce qu’elle avait le sentiment que le pouvoir de Youlou avait violé la légalité en faisant régner l’arbitraire, en étouffant les droits et les libertés fondamentales et en perpétuant la corruption. Outre le rôle de l’armée dans la chute du pouvoir, les jeunes sont apparus comme des partenaires susceptibles de jouer un rôle capital dans les recompositions politiques de l’époque.
L’armée responsable de la chute de Massamba- Débat et Marien Ngouabi
L’enthousiasme populaire des trois journées glorieuses ont permis de mettre fin au règne de Fulbert Youlou et à l’avènement du socialisme scientifique. Bien que populaire, ce mouvement fut lancé dans l’impréparation et le désordre. Il est pourvu de tout noyau politique capable de diriger les masses populaires. En conséquence, la situation d’improvisation a permis l’émergence des jeunes sur la scène politique congolaise. Les étudiants ayant milité dans plusieurs organisations de gauche en France (FEANF, AEC, UEC) et certains exclus sociaux apparaissent comme des acteurs clés de la recomposition politique.
A partir de 1965, l’enthousiasme populaire rend opaque l’expression des contradictions interne à l’appareil de l’Etat. Les jeunes utilisés comme force d’appui et d’appoint sont mobilisés dans les milices de la Jeunesse du Mouvement National de la Révolution (JMNR) et de la Défense civile. Par la suite, la lutte pour le contrôle entre l’armée et les milices de la JMNR/Défense civile aura un impact considérable dans la mobilisation sociale et la chute du président Massamba-Débat. [2] Les milices en tant que fer de lance de la Révolution deviennent des animateurs de ce processus politique qui va insuffler au pouvoir toute sa dynamique, avec les abus de pouvoir imaginable. [3] Les changements politiques continuent de s’opérer sur un mode violent, mais contrôlé, cette fois par l’armée. Les coups d’Etat et assassinats politiques se succèdent. [4]
Le Mouvement National de la Révolution (MNR) posa dès sa création des problèmes aux militaires : l’attribution de la figure du traître à l’opposant politique et la pratique inquisitoire pour contrôler la moralité des hauts fonctionnaires. [5] Après la mise en place de la JMNR, le commandant en chef des Forces Armées Congolaises, le commandant Félix Mouzabakani (responsable de la chute de Youlou) et plusieurs officiers sont exclus de l’armée pour un prétendu complot youliste de déstabilisation du régime de Massamba- Débat ; le capitaine Norbert Tsika commandant en chef de la gendarmerie entre 1963 et 1966 est arrêté pour cause de détournement et David Mountsaka accusé d’immoralité par les troupes.
La politisation de l’armée et la montée en puissance de la JMNR et de la Défense civile reflètent un affrontement entre générations de combattants jeunes. L’endoctrinement politique de l’armée, son englobement par la milice révolutionnaire, la purge de ses officiers font rejaillir des passions politiques conjoncturelles. L’incarcération de Marien Ngouabi en 1966 fait transparaître un climat de tension et surtout de militarisation partisane des exclus du régime. Ainsi, l’opposition des militaires à l’ordre révolutionnaire va se cristalliser à la suite des frictions entre l’armée et les politiciens qui souhaitent s’imposer dans le champ politique sans conteste. Les affrontements entre l’armée et les éléments de la Défense civile au camp Météo se soldent en août 1968 par la chute de Massamba- Débat et la prise du pouvoir par les militaires sous la conduite de Marien Ngouabi.
L’arrivée de Marien Ngouabi au pouvoir s’inscrira dans le cadre du réajustement de la Révolution. Elle amorce ainsi l’entrée des militaires sur la scène politique. Ayant réussi à cristalliser toutes les oppositions militaires progressistes et politiques autour de lui, Marien Ngouabi fera de l’armée l’outil de défense de la Révolution. Il dissout les milices révolutionnaires en incorporant les éléments de la Défense civile et de la JMNR dans l’armée. Il s’ensuit une mise en place des milices populaires qui vont servir de force d’appoint au régime. On assiste à la montée en puissance d’une armée de métier qui n’est autre que la milice, constituée par certaines fractions les plus dominées de la société et les cadets sociaux. Les tensions politiques suscitées par la radicalisation de la Révolution et les déboires de l’économie amorcent l’ère des incessantes frondes et mobilisations juvéniles. La militarisation du régime se manifeste par la mobilisation et le recrutement des jeunes sur la base du clientélisme et sans aucune logique discriminatoire. A partir de 1974, Ngouabi tenta une conversion de son capital militaire en capital culturel, mais provoqua l’opposition des alliés les plus puissants. Malheureusement, Marien Ngouabi est assassiné par les militaires le 18 mars 1977 dans les circonstances demeurées obscures jusqu’à ce jour.
Les organisations de masses à l’origine de la chute de Yhombi Opango
Après l’assassinat du président Marien Ngouabi, coupable d’avoir, entre autres, tendu la main à son prédécesseur Massamba-Débat (subséquemment assassiné) pour trouver une solution à la crise de l’État consécutive au contre-choc pétrolier, l’hégémonie nordiste se consolide avec les interrègnes successifs. Il sera remplacé par Joachim Yombhi Opango. Un Comité Militaire du Parti (CMP) de onze membres fut institué par l’Acte n°005/PCT du 19 mars 1977. Il s’agit d’un fatras, un ensemble incohérent de tempérament surtout militaires, d’idées politiques et révolutionnaires et aussi de préjugés tribalistes. Les contradictions au sein de cette structure encouragèrent la violence politique comme mode de reproduction politique et sociale. La succession de Ngouabi souleva le problème de la routinisation de son charisme. Très vite, l’unité et la cohésion au sein du CMP disparurent, laissant la place à des contradictions internes. La poursuite des éliminations des prétendus assassins de Ngouabi et les confrontations personnelles entre les deux tendances sont autant d’attitudes divergentes.
L’aile gauche du PCT mise en quarantaine par le CMP et les organisations de masse (CSC, UJSC, URFC) vont lutter ppour déstabiliser Yhombi, dont le pouvoir était contesté à tous les niveaux. Le mouvement du 5 février 1979 s’en servira d’un Congrès extraordinaire pour permettre à Dénis Sassou Nguesso, contrôlant tous les corps de l’Armée, la sécurité d’Etat et les organisations de masse d’accéder au pouvoir.
Les syndicalistes, les acteurs politiques et les jeunes au cœur de la chute de Sassou Nguesso
La fin des années 80 est celle des incertitudes politiques, de la crise socio-économique et des revendications populaires. L’échec des programmes d’ajustement structurels impose des mesures répressives dans la société : suppression des indemnités, blocage des salaires, gel des avancements et reclassements, licenciements. La croissance urbaine et l’accroissement d’une bureaucratie pléthorique donnent aux jeunes, un rôle politique. L’incapacité des acteurs politiques de redistribuer une rente raréfiée provoque une rupture du contrat social implicite sur lequel s’est construite la société. Il se développe un sentiment de désenchantement général où les jeunes entreprennent de rivaliser d’ardeur et d’imagination dans l’informel. Face à la situation de crise, les jeunes avaient commencé à se mobiliser et de contester de façon populaire l’oligarchisme du régime au pouvoir. La contestation des jeunes se réalise à travers les grèves, les pamphlets et autres formes de tracts. Les revendications portent sur le déclassement, l’exclusion et la désapprobation de la jeunesse. La gestion des incertitudes du jeu politique a fini par fragiliser le système du part-Etat. La centrale syndicale unique, la Confédération Syndicale Congolaise (CSC), s’impose comme force de changement.
Les contestations de l’ordre politique avaient abouti à la convocation de la conférence nationale souveraine (25 février-10 juin 1991). L’implosion du parti unique, le PCT a égrené des discours incantatoires sur la démocratie tribalisée dans les fiefs ethno-régionaux. La paupérisation des dirigeants, les culpabilisations et les contradictions politiques amorcent la crise. Le recours à des stratégies diverses pour se positionner sur la scène politique donne l’image d’une véritable transition escamotée. [6]
Les milices comme responsables de la chute de Pascal Lissouba
Au lendemain de la Conférence nationale souveraine, Pascal Lissouba est élu président du Congo en août 1992. Ce règne est marqué par plusieurs crises politiques qui remettent sur la scène politique, le processus de la milicianisation des enjeux politiques. [7] Le manque de confiance des hommes politiques en l’armée considérée comme partisane va conduire les plus grands partis à créer des groupes d’autodéfense ou milices. [8] La rue se libère de la dictature du monopartisme pour s’imposer comme lieu de construction et d’expression des pratiques sociales.
Les premiers actes de violences commencent le 30 novembre 1992 à l’issue d’une marche pacifique de l’opposition pour exiger le respect et l’application de la constitution du 15 mars 1992. Les barricades apparaissent comme des espaces de repositionnement, de mise en place des groupes d’autodéfense et des lieux d’entraînement aux pratiques militaires. La concurrence pour l’accès aux ressources de la violence contribue ainsi à fonder une coupure sociale où figurent des acteurs qui engagent des intérêts dans la culture milicienne. Ces manifestations incitent l’armée à intervenir et de jouer le rôle de médiateur entre les deux camps politiques. La radicalisation de la violence avait fini par ethniciser et territorialiser la crise politique de 1993-1994. La guerre du 5 juin 1997 ne sera que la concrétisation du pourrissement de la situation politique dans le pays.
Il ressort de ce qui précède que les différents conflits qui ont marqué l’histoire politique et sociale du Congo ont eu pour acteurs, l’armée, les syndicats, les milices, les acteurs politiques. Ces acteurs ont joué divers rôles, selon les contextes, les époques et les régimes politiques. Les mobilisations collectives ont servi de base dans la recomposition du champ politique.
Interactions et dynamiques au centre des mobilisations collectives depuis 1998
L’histoire du Congo de ces dernières années a été marquée par plusieurs mouvements politiques, sociaux et culturels.
Rôle et le poids du discours ethnique dans la dégradation de la situation politique
Avec l’échec de la construction de l’identité nationale, le référent ethnique construit sur la culture, la langue, l’histoire se combine diversement avec les solidarités régionales. L’émergence des pseudo-ethniques constitue le socle électoral dans lequel chaque acteur à la possibilité de remodeler les entités territoriales associant parentés ethniques et proximités spatiales. Nombreux acteurs politiques ont eu recours à la violence, donc aux milices à cause du déficit de la culture démocratique. La popularisation de la violence milicienne a inauguré au Congo, un nouveau mode de légitimation politique. Les fiefs électoraux des leaders des partis politiques sont aussi devenus des bases de recrutement des combattants, afin de servir aux desseins politiques bien déterminés.
La violence développée à Brazzaville construit un espace où figurent des acteurs qui engagent des intérêts dans cette pratique. Depuis 1964, les jeunes qui s’engagent dans les milices et bandes armées sont principalement des déscolarisés et désœuvrés. Nombreux ont acquis au fil des années les pratiques/ expériences de la violence, de la criminalité, ou de la marginalité. D’autres jeunes sont restés actifs dans le mouvement social en tant que stratèges, manifestants, propagandistes et leaders d’opinion. Ils donnent aux mobilisations collectives le sens d’auto-défense face à des pouvoirs corrompus et tyranniques (cas en 1963, 1968, 1991). La concurrence pour l’accès aux ressources de la violence va contribuer à fonder une coupure sociale entre les acteurs sociaux.
En conséquence, les jeunes en tant que catégorie générique dans les conflits au Congo se confondent tantôt avec les groupes révolutionnaires, tantôt avec les milices politiques et ou/bandes armées.
La révocation milicienne et remobilisation populaire dans les régions sud du Congo
Le climat d’impunité entretenu après la victoire Denis Sassou Nguesso appuyés par les soldats angolais, rwandais et tchadiens, en octobre 1997, laissait présager des menaces d’une guerre civile. Les miliciens vainqueurs légalisés par l’attribution des avantages sociaux comme effort de guerre, en profitent pour élimer les anciens miliciens des autres factions.
Le développement des écuries [9] comme forme récurrente de révocation milicienne dans le camp des victorieux de la guerre a été manifeste à travers la légitimation de la violence. Les écuries ont ouvert la voie à la cupidité de l’Etat, au pillage à des fins d’enracinement et d’accumulation de pouvoir, à l’accaparement des ressources économiques à des fins privées, au développement des actes inciviques et à la criminalisation de l’Etat. Le désarmement des milices dans la partie sud du pays (Pool, Niari, Bouenza et Lekoumou) se déroule à partir de mars 1998, dans un contexte d’impunité généralisée. Les miliciens cobras appuyés par les troupes étrangères envisagent des opérations mania militari qui suscitent de la résistance de la part des populations locales. Les exactions commises par les miliciens envoyés sur le terrain amorcent un climat d’instabilité politique et d’insécurité. Les premiers signes de la révolte se profilent à l’horizon au regard des exactions sur les paisibles populations : racket, viols, tortures, arrestations et assassinats.
La population menacée dans ses valeurs culturelles refuse de se soumettre à la domination angolaise et rwandaise. Ce refus de demeurer sous l’emprise néocolonialiste déclenche des protestations qui vont aboutir à la formation d’une bande armée messianique dans le Pool, les Ninjas Nsilulu et la révocation milicienne dans les autres départements du sud. La paralysie du gouvernement central, l’impuissance des autorités de faire régner l’ordre et le relâchement de la cohésion sociale ont été des symptômes visibles. La violence apparaitra ainsi comme le mode de production du pouvoir et de domination, un moyen de sécurisation économique, un circuit d’ascension politique, de recomposition des élites et de redistribution du pouvoir. Les jeunes se dotent des moyens d’exercice de la violence pour réclamer le positionnement politico-économique.
La mobilisation milicienne aura été le point de départ de la mise en place d’un mouvement de contestation, qui au départ, reste sans coordination et sans concertation qui va résister contre le régime de Brazzaville, jusqu’en mars 2003. La crise sociopolitique dans les régions sud du pays a fini par traduire les limites de l’autorité de l’Etat importé, [10] en proie à une crise de territorialisation de l’ordre politique et aux groupes privés qui confisquent des parcelles de l’Etat (régions). Ces crises ont ouvert la voie aux dérives identitaires, manipulations politiques et à l’autonomisation des miliciens. La géostratégie milicienne et les dynamiques de la violence mettent en lumière les stratégies et les nouvelles formes insurrectionnelles des seigneurs de guerre qui apparaissent comme des libérateurs, sauveurs et messies par la réalisation des actions visant à assurer l’indépendance totale, par la mise à bas ou l’élimination des corrompus et tribalistes.
Mobilisation des organisations de la société civile
La société civile au Congo reste mal structurée et peu efficace. Ces dernières années plusieurs initiatives ont émergé de la part des organisations non gouvernementales dans le domaine de la transparence pétrolière, de la justice, de la gouvernance démocratique et des droits humains. La plupart des organisations militant en faveur des droits humaines ont eu du mal à dénoncer avec forces et vigueur les exactions des milices et la répression des gouvernements face aux mouvements sociaux et revendications politiques. Plusieurs organisations œuvrent aujourd’hui en faveur de la promotion, protection et défense des droits de l’homme dans le pays. Il s’agit de l’Association panafricaine Thomas Sankara, la Convention nationale des droits de l’homme, l’Association des femmes juristes du Congo, l’Observatoire congolais des droits de l’homme, l’Association Avenir Nepad Congo, etc.
Le Congo ne dispose pas à ce jour, une société civile progressiste, autonome et critique envers la situation du pays, la gouvernance démocratique, les droits humains. Celle-ci présente plusieurs faiblesses structurelles (absence de siège social, ressources insuffisantes), managériales (manque d’expertise en gestion, non respect des textes statutaires et règlementaires), communicationnelles (faible visibilité, manque de transparence) et relationnelles (partenariat entre les associations, avec l’Etat, implication des populations dans l’accompagnement des actions des ANE). Toutes ces faiblesses pénalisent les activités des organisations de la société civile.