• Contact
  • Connexion

Mexique : de grands défis pour la candidate indigène à la présidentielle

La candidature posée par María de Jesús Patricio Martínez est un symbole fort dans une société encore largement dominée par le machisme et le racisme.

« L’assemblée constitutive du Conseil indigène de gouvernement a décidé de nommer comme porte-parole la compañera du peuple Náhuatl, María de Jesús Patricio Martínez. Elle portera la voix des peuples autochtones aux élections de 2018. » C’est par ces mots, empreints d’une solennité particulière, que le Congrès national indigène (CNI) mexicain vient de faire part de sa décision au reste du monde. Pour la première fois dans l’histoire du Mexique, une candidate indigène s’apprête à participer à la course électorale pour la présidence du pays.

Ce n’est pas gagné. Si une réforme constitutionnelle récente autorise désormais ce type de candidature indépendante, en marge des partis politiques, plusieurs formalités restent toutefois à remplir pour pouvoir concourir. Dont la collecte en quatre mois de centaines de milliers de signatures d’appui (1% des listes électorales) en provenance d’au moins dix-sept des trente-deux États fédérés que compte le Mexique. Pas gagné, mais jouable. La rébellion zapatiste du Chiapas, à l’initiative de la création du CNI il y a une vingtaine d’années et de cette proposition de candidature présidentielle aujourd’hui, a déjà réussi à mobiliser massivement par le passé, lors des différentes « consultations » lancées dans le pays dans la foulée de l’insurrection surprise du 1er janvier 1994.

Une symbolique forte

La symbolique de cette candidature de María de Jesús Patricio, alias « Marichuy », est forte. A plus d’un titre. Elle est féminine, dans une société où le machisme prévaut généralement et cause de profonds dégâts. Elle est aussi indigène, dans une société majoritairement métisse où le racisme sévit toujours. Elle se veut surtout représentative de ces quelque quinze millions d’autochtones mexicains – plus d’une cinquantaine d’ethnies différentes – surreprésentés dans les secteurs de la population nationale les plus affectés par les difficultés d’accès à l’eau potable, à l’éducation, à la santé, bref à des conditions de vie digne.

En cela, la candidature de Marichuy entend mobiliser également au-delà du monde indigène, dans « le Mexique d’en bas », chez tous ces compatriotes victimes d’une façon ou d’une autre du même « modèle corporatiste de destruction », qui marginalise des pans entiers de la communauté nationale, creuse les inégalités et saccage l’environnement. La cible désignée conjointement par le CNI et l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale), c’est le système politique et économique mexicain dans sa globalité, responsable à leurs yeux, de discrimination, d’exploitation, de dépossession et de répression à leur égard.

Plus concrètement, les formes prises par l’expansion du « capitalisme de prédation » – la multiplication des « mégaprojets de modernisation » des industries minière, agricole, énergétique, touristique, forestière, etc. – pèsent lourdement sur leurs territoires et l’environnement. Territoires dont l’accaparement par des investisseurs nationaux ou transnationaux s’opère au mieux par consentement… contraint des populations qui y vivent.

Articuler les résistances

Les observateurs et autres activistes qui avaient essentialisé l’inclination « autonomiste » de la rébellion zapatiste, prétendument rétive à la voie politique nationale, en sont pour leurs frais. Le mouvement indigène mexicain souhaite peser dans les rapports de force là où s’ouvrent des espaces. Les partis de « la gauche institutionnelle » ont beau dénoncer un risque de division des voix, le CNI et l’EZLN considèrent avoir été trahis à moult reprises par leurs représentants. Et enfin, les secteurs conservateurs peuvent se moquer de l’audace de « simples indigènes », au mieux « folkloriques », qu’ils considèrent « incapables » d’assumer leurs ambitions, la dynamique est en marche, avec pour objectif déclaré, non pas d’« administrer le pouvoir », mais de « mettre en lumière et articuler les résistances à l’ordre établi ».

Reste bien sûr que le tumultueux contexte mexicain n’est actuellement pas à la question indigène, ni même à la question sociale, encore moins à la question environnementale. Déchiré par la guerre au narcotrafic et à ses collusions avec le pouvoir, qui en a fait l’une des régions les plus criminelles et violentes au monde, le Mexique va aussi devoir affronter dans les prochains mois l’administration états-unienne du président Trump sur les terrains, minés, du libre-échange et des migrations. Y entendra-t-on la voix de « Marichuy », la nouvelle porte-parole nahua des sans-voix mexicains ? Ce n’est pas gagné.

* Bernard Duterme est également le coordinateur de Zapatisme : la rébellion qui dure (Paris, Syllepse, 2015) et l’auteur de « Mexique : une candidate indigène à la présidentielle », dans Libération, 26 décembre 2016 : http://www.cetri.be/Mexique-une-candidate-indigene-a

Sur RFI, 30 mai 2017 : http://www.cetri.be/Congreso-indigena-elige-candidata.

Télécharger Mexique : la candidate indigène à la présidentielle est connue PDF - 395.7 ko
Voir en ligne Lire la carte blanche sur le site du Soir

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.