Pour Frédéric Thomas, il y a clairement plusieurs dénominateurs communs entre ces situations, particulièrement le Liban et le Chili, deux pays aux réalités pourtant très différentes sur des continents différents : « Il y a un terreau commun assez évident, ce sont les inégalités sociales. Il y a aussi un ras-le-bol qui vise à la fois le gouvernement jugé corrompu, clientéliste, antidémocratique et en même temps des mesures économiques qui visent les plus pauvres. Ça donne une impression d’une confiscation du pouvoir. Donc à la fois en termes de revendication mais aussi d’organisation spontanée, on retrouve des similitudes. Ce sont aussi souvent les mêmes profils sociologiques qu’on voit dans la rue, beaucoup de jeunes et de femmes des classes populaires défavorisées. Et puis le gouvernement réagit souvent de la même manière, d’abord déni total et puis répression avec la police ou l’armée dans les rues ».
« Il y a un terreau commun assez évident à ces mouvements, ce sont les inégalités sociales »
Pour Xavier Dupret, le problème c’est la sous-valorisation des classes populaires dans un contexte de mondialisation : « Les contestataires ce sont des jeunes qui sont peu utilisés par le système socio-économique alors que ces 15 dernières années, leur niveau scolaire et culturel a beaucoup augmenté. Ce sont des élites alternatives, des contre-élites ».
Frédéric Thomas partage cet avis, le niveau d’éducation change. Ces mouvements populaires récents ont émergé dans des terreaux protestataires déjà existants ces dernières années (Les Printemps Arabes, Les Indignés, le Mouvement des parapluies, la lutte contre l’austérité en Grèce,…), mais ce qui a changé c’est l’aggravation des inégalités dans ces pays et en même temps la diminution de la tolérance à ces inégalités « précisément parce qu’on est face à des jeunes populations mieux éduquées. Avant les inégalités étaient justifiées au nom de ce mythe du ruissellement, qu’à terme tout le monde allait profiter. Les jeunes n’y croient plus. Ils ont étudié, ils sont mieux équipés pour avoir accès à l’emploi, pourtant ils n’en ont pas ou alors il est précaire. Et donc on ne croit plus à ces gouvernements et aux promesses d’un meilleur avenir ».
« On n’est pas dans des revendications économiques pures, on est dans un rapport de force social »
La plupart de ces mouvements ont démarré avec des revendications d’ordre économique ou fiscal (renoncer à une taxe, augmentation du salaire minimum, diminuer les prix des carburants,…) pour tant, pour Xavier Dupret on n’est pas dans de l’économie pure, on est dans un rapport de force social : « En Amérique Latine, il y a des marges de manœuvre pour de la redistribution des richesses dans ces sociétés. Même la Banque Mondiale le dit : »La fiscalité en Amérique Latine est trop inégalitaire et pas assez redistributive. Mais pour ça il faut un rapport de force, parce que les élites latino-américaines n’ont pas l’habitude de partager leur richesse".
Partout, la même défiance vis-à-vis de l’Etat
Autre point commun entre ces mouvements, pour le chercheur du CETRI : La défiance envers les gouvernements. « Il y a à la fois une crise de la représentation. Les responsables au sommet de l’Etat semblent plus représenter les intérêts des élites économiques et politiques que ceux des classes populaires. En même temps, il y a une défiance envers les mesures prises pas ces gouvernements. Et puis, une défiance envers cette corruption que ce soit en Équateur, au Liban ou en Haïti qui fait que l’État n’offre pas le service public qu’il devrait ».
Quel avenir pour ces mouvements ?
Pour Frédéric Thomas, la difficulté de ces mouvements, c’est qu’ils sont peu structurés politiquement, ils n’ont pas de relais politiques qui pourraient prendre la relève d’un gouvernement renversé par la rue. Pour lui, c’est le défi de ces mouvements : « Il faut voir s’ils généreront des forces politiques, s’ils s’institutionnaliseront pour trouver une alternative ». Pour Xavier Dupret, cette structuration peut aller vite notamment en Amérique Latine : « Il y a des possibilités de rencontres entre les politiques, les cadres syndicaux et les manifestants. En Amérique Latine, il y a une maturité des fomentations de gauche radicale plus importantes qu’ailleurs dans le Sud ».