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Iran

Les mouvements sociaux face à la répression

Dans un contexte sociopolitique marqué par la répression et la radicalisation des conservateurs au pouvoir, plusieurs mouvements sociaux, bien qu’affaiblis, militent pour l’ouverture du champ politique et la reconnaissance des aspirations de la société civile iranienne.

La modernisation de l’Iran débute sous la dynastie des Pahlavi dans les années 1920. Elle se traduit par un État centralisateur, jacobin, négateur des identités culturelles et agent de l’homogénéisation culturelle et de la répression politique. Les Pahlavi tentent une modernisation par le haut en exaltant le passé aryen et pré-islamique de l’Iran, en s’inspirant du modèle d’Atatürk.

La révolution islamique de 1979 ne modifie pas fondamentalement les tendances répressives de l’État moderne dans les années 1980 et 1990. L’ouverture politique est toujours perçue comme une menace à l’unité nationale, après l’instauration d’une théocratie chiite qui découle du concept de Vélayat Faqih (souveraineté du docteur de la loi islamique).

Le mouvement proto démocratique dirigé par Mohammad Mossadegh, figure emblématique de la nationalisation de pétrole au début des années 1950, s’inscrit dans un contexte marqué par le populisme, la faiblesse de la société civile (la population est majoritairement rurale et analphabète, la structure politique de nature « féodale » rendait la communication difficile entre ville et campagne) et par une situation internationale (la guerre froide et la proximité géographique de l’Union soviétique) peu propice aux perspectives d’autonomie politique dans les sociétés peu développées.

Le renversement de Mossadegh sous l’impulsion des États-Unis et de l’Angleterre a porté un coup sérieux au principe démocratique, désormais considéré comme l’expression de l’hypocrisie et du colonialisme occidental. A partir de ce moment jusque dans les années 1980, les mouvements sociaux ont été de nature anti-démocratique, se revendiquant soit de la gauche ou de l’extrême gauche marxiste, soit de l’islamisme radical.

L’émergence des mouvements démocratiques

Ce n’est qu’après les déboires de la révolution islamique que naît, dans les années 1990, un nouveau type de mouvement social en Iran marqué par le refus de la violence, le refus des utopies holistes - telles que la société sans classes de Shariati, la société de l’origine irénique de l’islam sur le modèle d’Ali chez les islamistes, ou encore la société préparatrice de la fin des temps sous l’égide de l’Imam du temps, pour la fraction radicale des islamistes fondamentalistes - et l’affirmation des valeurs liées à la dignité de l’individu.

L’Iran est aujourd’hui traversé par un paradoxe. La modernisation intense de la société va dans le sens de l’ouverture politique et culturelle, mais l’État reste opposé au pluralisme au nom d’une vision théocratique de l’islam. Lors des deux dernières décennies, l’Iran a connu une intense modernisation des comportements dans la société [1] . Au niveau démographique, on a assisté à une baisse du taux de natalité, à un recul de l’âge du mariage, à un changement radical d’attitude vis-à-vis de la fécondité, à une prise de conscience féminine pour les questions de santé reproductive, etc. [2]

Sous les deux présidences de Mohammad Khatami de 1997 à 2005, la société iranienne a connu une ouverture culturelle sans précédent : foisonnement des activités scientifiques [3] et culturelles, notamment du théâtre, du cinéma [4] , de la peinture, de la littérature moderne. Au niveau politique par contre, il a échoué à réformer le système politique du pays et à introduire une dose de pluralisme dans le système.

La victoire des conservateurs aux élections parlementaires de 2004 est due en grande partie au refus d’une fraction importante de la société iranienne de participer au scrutin, en raison du désenchantement vis-à-vis des réformateurs. Leur arrivée au pouvoir s’est traduit aussitôt par une répression des mouvements sociaux de la société civile, notamment le mouvement étudiant, le mouvement des femmes, le mouvement des intellectuels, le mouvement des journalistes ainsi que les mouvements ethniques qui revendiquaient une plus grande autonomie culturelle dans un Iran pluriethnique. Sous l’effet de la répression mais aussi, en raison de la faiblesse structurelle des organisations de la société civile, on a assisté à un essoufflement des mouvements sociaux qui, dans la seconde moitié des années 1990, avait pourtant donné sens à l’engagement des jeunes et des femmes sur la scène politique et sociale.

Le mouvement étudiant a ainsi été jeté dans une crise profonde. L’inaptitude et le manque de soutien politique des réformateurs ont laissé les coudées franches aux conservateurs et à leurs milices pour réprimer et démanteler le mouvement, du moins dans sa structure organisationnelle. Première cible visée : une association étudiante d’origine islamiste - le Bureau de renforcement de l’unité (daftar tahkim vahdat) - qui a joué un rôle de tout premier plan au sein du mouvement étudiant. Il a en effet été le premier en Iran à prôner la démocratie au lieu de la lutte armée pour atteindre les utopies communistes ou islamistes. Malgré les vagues de répressions massives de l’État, l’université est restée le centre de gravité pour les mouvements de la société civile iranienne et le noyau d’un mouvement futur pour l’ouverture politique de l’Iran.

Après une période de crise due à la révolution islamique, le mouvement des femmes s’est progressivement organisé. Une génération de mères a servi de modèle, mais ce sont surtout les nouvelles générations féminines qui en sont le fer de lance. Cette nouvelle génération est beaucoup mieux instruite en raison de l’accès massif des femmes à l’enseignement supérieur (elles forment la moitié des étudiants et le taux de réussite des jeunes femmes au concours d’entrée des universités publiques est supérieur à celui des hommes). Son statut juridique subalterne (égalité politique plus ou moins reconnue mais inégalité au niveau du code de la famille) et son niveau d’éducation de plus en plus élevé sont à l’origine d’une prise de conscience aiguë de l’injustice sociale à leur égard. Il n’empêche que faute d’organisation, le mouvement ne parvient pas à remettre fondamentalement en cause les disparités juridiques et doit se suffire de solutions partielles aux problèmes des femmes au niveau institutionnel. Le mouvement, peu politisé, a néanmoins obtenu des gains ponctuels : après plusieurs années de lutte au sein des tribunaux, la garde des enfants après un divorce revient jusqu’à un certain âge, à la mère au lieu du père ; et dans des affaires impliquant des femmes, des juges ou des assesseurs féminins peuvent être désignés, etc. Mais ces victoires sont relativement maigres et la nouvelle mobilisation « un million de signatures » en faveur de l’égalité juridique entre hommes et femmes a été réprimée par le pouvoir conservateur.

Le mouvement des journalistes a joué un rôle majeur au cours de la période postrévolutionnaire. Tout au long des deux dernières décennies, plus d’une centaine de journaux, d’hebdomadaires et de revues ont été censurés et interdits de parution, plusieurs journalistes ont été incarcérés ou ont été atteints dans leur intégrité physique et quelques-uns ont payé de leur vie leur adhésion au mouvement démocratique en Iran. En dépit des difficultés majeures qu’ils affrontent, les médias écrits sont encore l’un des pôles majeurs de contestation du pouvoir autocratique en Iran. Une nouvelle génération de journalistes, issus de la révolution islamique, est désormais à l’avant-garde de la lutte pour l’ouverture démocratique de la société. Des hommes et des femmes tentent, dans un effort concerté, de donner la parole à la société civile et d’exercer une critique du pouvoir, en dépit des obstacles juridiques et politiques et des formes d’intimidation et de répression qui pèsent sur eux. Cette nouvelle génération cherche également à jeter des ponts entre les intellectuels religieux réformateurs et la société globale, en donnant la parole aux premiers et en dénonçant les abus des autorités qui se réclament de l’islam.

Le mouvement des intellectuels pour un islam pluraliste et non théocratique a rassemblé non seulement des laïques mais aussi et surtout des intellectuels religieux et parmi eux, de nombreux clercs. Ce mouvement a proposé, dans le respect de la diversité, différentes versions de l’islam qui remettent en cause la version autocratique du religieux incarné par l’État. Leur influence est indéniable parmi les nouvelles générations mais on assiste à une crise de ce mouvement à la fois en raison de la répression dont ils sont l’objet, mais aussi de l’emprise politique grandissante des conservateurs.

La révolution islamique a été concomitante à l’expansion de l’école et de l’université dans les coins les plus reculés de l’Iran et en particulier, dans les régions ethniques du pays. La généralisation de l’accès à l’éducation et à la modernité pour des populations d’origine kurde, arabe, turkmène, guilak, turc azéri… a permis à ces nouvelles générations de maîtriser à la fois le code culturel persanophone ainsi que leur langue et culture autochtone. A la différence des anciens (parents et grands-parents) qui ne maîtrisaient pas le persan, ceux-ci s’expriment aussi bien que les persanophones. Cette compréhension de la langue et de la culture dominante leur ouvre paradoxalement des perspectives nouvelles. Elle est à l’origine d’une prise de conscience aiguë de leur propre « sous culture », mais aussi des problèmes vécus par les autres minorités, notamment dans les métropoles iraniennes (surtout à Téhéran, mais aussi dans d’autres grandes villes). De la sorte, les différents groupes ethniques parviennent à exprimer leur revendication « multiculturelle » dans la langue dominante, le persan ; tout en exigeant une reconnaissance de la culture et de la langue minoritaire qui fondent leur identité [5]

Le mouvement ethnique s’est développé timidement sous la présidence de Khatami, avec l’essor des maisons ethniques ; mais depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs, la répression a pris le pas sur la volonté de dialogue avec le pouvoir central.

Dans l’ensemble, la situation politique est marquée par la radicalisation des conservateurs désireux de revenir à une société révolutionnaire pure et dure. La répression organisée des mouvements sociaux qui militent pour l’ouverture du champ politique ainsi que leur faiblesse intrinsèque font qu’une crise de société couve en Iran. L’écart grandit entre une société civile naissante et un État théocratique incapable de s’ouvrir aux aspirations des nouvelles générations. La rente pétrolière et l’augmentation du prix de l’or noir permettent néanmoins au régime de se maintenir en finançant le clientélisme et en faisant fond sur la faiblesse de la société civile iranienne.


Notes

[1Voir Hourcade Bernard, Iran, nouvelle identité d’une république, Bélin/Documentations Françaises, 2002 ; Hooglund Eric, (dir.), The Twenty Years of Islamic Revolution, New York, Syracuse University Press, 2002.

[2Voir Marie Ladier-Fouladi, Population et politique en Iran. De la monarchie à la république islamique, Institut national d’études démograhiques, Paris, 2003.

[3Dans nombre de domaines, notamment en matière de publication d’articles scientifiques dans des revues internationales, l’Iran dépasse largement la production de pays à niveau socio-économique équivalent.
Voir Khosrokhavar Farhad, Etemad Shapour, Mehrabi Masoud, « Report on Science in Post-revolutionary Iran - Part one : Emergence of a Scientific Community ? », Critique, vol 13, n° 2 ; « Report on Science in Post-Revolutionary Iran – Part II : the Scientific Community’s Problems of Identity », Critique, vol 13, n° 3, 2004.

[4Voir Fisher Michael M.J., « Filmic Judjment and Cultural Critique in Iranian Cinema », Studies in Persianate Societies, vol 1, 2003.

[5Voir Farhad Khosrokhavar, « The Islamic revolution in Iran : retrospect after a quarter of a century », Thesis Eleven, N° 76, février 2004. .


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