Le « virage à gauche » de l’Amérique latine et le « printemps » du monde arabe sont deux séquences historiques qui ont trouvé une forte résonance auprès de l’opinion occidentale. Une nouvelle tonalité démocratique, une volonté de transformation sociale et un appel à la dignité sont généralement associés à ces deux épisodes et à ces deux régions. Concernant l’Asie, qui retient notre attention dans cette édition d’État des résistances dans le Sud, point de formule consacrée à même de schématiser une évolution positive du continent. La perplexité domine en effet quant aux réalités sociales asiatiques. Ce sentiment ambivalent est certes nourri par l’éloignement et la complexité de ce continent, mais aussi par les foyers de crises et d’instabilité qui y règnent, par les angles morts et la jeunesse de ses démocraties et par les images contradictoires que cette région renvoie.
Encéphalogramme plat pour les sociétés civiles asiatiques ?
S’interroger sur les dynamiques de changement social à l’œuvre et sur la contribution des sociétés civiles serait-il dès lors une opération vaine et hors de propos ? Asie et démocratie feraient-elles de facto « mauvais ménage » ? Plusieurs arguments invalident cette hypothèse. Tout d’abord de façon générale, la persistance de régimes dictatoriaux, autoritaires ou de démocraties en trompe-l’œil n’a pas pour corollaire immédiat l’absence d’acteurs sociaux ou d’espaces de contestation — le monde arabe est là pour nous le rappeler —, même si la nature, la composition, l’intensité et l’impact des sociétés civiles en sont profondément affectés.
Ensuite, s’agissant de l’Asie, plusieurs épisodes majeurs au cours des dernières décennies illustrent le rôle central joué par des mouvements citoyens dans la délégitimation de régimes autoritaires : en 1986 aux Philippines, la première révolution pacifique du « People Power » a mis fin au régime dictatorial et corrompu du président Marcos ; en 1998 en Indonésie, des mobilisations de masse ont conduit à la démission de Suharto ; à Taïwan, de larges mouvements d’opposition ont poussé le gouvernement du Kuomintang à relâcher son contrôle et à entamer des réformes. En Thaïlande, en Corée du Sud, au Bangladesh, des soulèvements populaires ont renversé les régimes militaires en place et des mouvements pacifiques ont ébranlé les autorités en Birmanie (1988) et en Chine (1989), malgré la répression.
Des acteurs se sont ainsi affirmés en dehors de la sphère étatique, tantôt pour « assouplir » ou faire sauter le verrou de systèmes politiques autoritaires, tantôt pour dénoncer les contradictions de démocraties qui n’en portent finalement que le nom. Libéralisation politique et économique ont rarement rimé avec démocratisation sociale et redistributive. Les conflits socio-environnementaux, les revendications ethniques et religieuses, les clivages sociaux qui se multiplient aux quatre coins du continent témoignent plus que jamais des limites du « package démocratique » et d’une volonté de changement.
Mais d’où provient alors l’image de l’encéphalogramme plat que d’aucuns prêtent aux sociétés civiles asiatiques ? Cette représentation erronée tient pour partie à la controverse de l’« exception culturelle » promue par des académiques et dirigeants — notamment asiatiques — au cours des années 1980-1990. Selon ce point de vue, les valeurs asiatiques et confucéennes (priorité à l’intérêt collectif, au respect de l’autorité et de la famille, à la recherche du consensus) et le modèle dominant (État fort, parti unique, développementisme) étaient jugés incompatibles avec la démocratie libérale prônée et « exportée » par l’Occident. La mise en avant d’éléments culturels prétendument spécifiques, parfois cumulés à une rhétorique nationaliste, a été une stratégie payante pour les gouvernements autoritaires. Elle leur a conféré une légitimité auprès de leurs populations, qui a été accentuée par les performances économiques enregistrées à cette époque par certains « tigres » [1] et « dragons » [2] asiatiques.
La grave crise financière de 1997 et le départ forcé du président Suharto l’année suivante ont toutefois sérieusement entamé la crédibilité du modèle asiatique. Des revendications sociopolitiques, des exigences de réformes se sont alors fait entendre dans les pays touchés par l’onde de choc, témoignant, si besoin était, de l’existence bien réelle d’une société civile porteuse de changement et soucieuse de ses droits. Le confucianisme, pas plus que l’islam, n’a par essence une influence néfaste ou inhibitrice sur les progrès démocratiques, ni ne constitue le socle de modes de gouvernance autoritaire. Les pays d’Asie imprégnés par la pensée confucéenne comme la Corée du Sud, Taïwan et la Chine, et les États majoritairement (Indonésie, Malaisie, Bangladesh, Asie centrale, Pakistan, Afghanistan, Iran) ou minoritairement musulmans (Inde, Thaïlande, Cambodge, Philippines, Népal, etc. ) sont, là comme ailleurs – nous le verrons dans cet ouvrage —, le terrain de luttes sociales, citoyennes et démocratiques.
Toutefois, l’argument culturel demeure vivace. Dans plusieurs pays, le terme « société civile » est encore manié avec suspicion. Au Vietnam, il vient seulement d’être introduit dans les discours officiels du Parti communiste. En Afghanistan, une distinction est faite, par les dirigeants, mais aussi dans l’imaginaire populaire, entre démocraties « occidentale » et « islamique », etc. (Larson, 2012). De la même manière, à Singapour et dans les régimes autoritaires d’Asie centrale, le modèle démocratique occidental est considéré comme contradictoire avec les mentalités locales jugées favorables à un pouvoir fort garant de la stabilité et de l’ordre.
Malgré des approches encore prudentes, suspicieuses ou hostiles de la part des autorités, le terme de société civile a néanmoins pénétré dans les discours politiques et au-delà. À titre indicatif, le nombre d’organisations a crû considérablement en Asie depuis le milieu des années 1980. Au Bangladesh, elles sont plus de 250 000. En Inde, plus de 2 millions d’entre elles sont officiellement enregistrées, faisant monter encore les décibels d’une démocratie dépeinte par Vinod Raina comme « cacophonique ». À cette présence physique se superpose une reconnaissance inédite dans de nombreux pays. Malgré des exceptions notables, les acteurs non étatiques deviennent une force qui compte.
Cette évolution se reflète dans la prise en considération des agendas sociaux, dans les démarches plus inclusives mises en place, mais aussi dans les manœuvres et les calculs des élites politiques pour contenter ou, à tout le moins, ne pas se mettre à dos ces protagonistes. Les gouvernements autoritaires ou semi-autoritaires eux-mêmes concèdent du terrain, voyant « l’intérêt » que leur procure une société civile sous contrôle. L’affection de la communauté internationale pour les principes démocratiques a constitué aussi un élément déterminant dans le bourgeonnement des sociétés civiles en Asie et dans certaines avancées. L’« ouverture » que connaît la Birmanie est due certes pour partie à l’audace d’une opposition politique et d’une société civile devenue plus revendicative, mais aussi à l’attitude des tenants du pouvoir contraints de se prêter à un jeu de séduction – « réformes démocratiques », libération d’opposants et d’Aung San Suu Kyi – envers sa population et envers les puissances occidentales et régionales, afin d’influer sur la politique des sanctions et de contre-balancer l’influence chinoise.
De la Corée du Nord à Taïwan : des régimes et des sociétés civiles contrastés
Les sociétés civiles en Asie ne sont donc pas une abstraction et ont gagné en nombre et en vigueur ces vingt dernières années. Ce constat d’ensemble doit toutefois être interrogé et nuancé pour chaque pays. Sur le plan politique, le continent couvre une large palette de régimes qui s’étend de la monarchie absolue (Bahreïn) au régime communiste. La voie de la démocratisation semble la tendance la plus répandue, mais des exceptions demeurent et des problèmes récurrents peuvent en freiner la progression ou en remettre en cause les acquis. Le contexte politique mis à part, les trajectoires historiques, les niveaux de développement, les spécificités culturelles et religieuses varient aussi considérablement selon les espaces, et ont un impact sur la nature, les contours, les moyens, les buts poursuivis par les sociétés civiles concernées, ainsi que sur leurs relations avec l’État.
Vide démocratique
La Corée du Nord, dernier régime totalitaire, est organisée autour d’un chef tout-puissant et caractérisée par une bureaucratie forte et par la domination écrasante du parti-État et de l’armée. La récente accession au pouvoir de Kim Jong-un, fils de Kim Jong-il, ne semble pas avoir fondamentalement modifié la donne. Le pays reste hostile à toute ouverture politique, malgré les critiques unanimes venues de l’étranger et la misère sociale et économique. Environ deux millions de Nord-Coréens seraient ainsi morts de faim entre 1995 et 1999 en raison de l’incompétence du gouvernement, d’un système de distribution publique de nourriture inefficace et inégalitaire et d’une conjoncture défavorable (réduction des aides de la Chine et de l’ex-URSS et catastrophes naturelles). En dépit de l’isolement, de la lutte pour la survie et d’un appareil répressif redoutable, quelques facteurs laissent toutefois penser qu’une forme modeste de résistance politique pourrait émerger en Corée du Nord.
Persistance de régimes autoritaires
La République populaire de Chine, le Laos et le Vietnam sont trois États communistes ou « postsocialistes » régentés par un parti unique. L’action collective organisée demeure globalement verrouillée sous ces régimes autoritaires, malgré des évolutions graduelles. Au Laos et au Vietnam, les formes d’organisation ou de protestation en dehors du parti-État ont été quasi inexistantes avant les réformes de 1986, mais les années 1990 ont marqué une évolution avec la déstalinisation de la vie quotidienne et l’introduction de l’économie de marché. Des espaces ont été créés et des organisations de la société civile – internationales, nationales et locales – ont progressivement émergé et pallié certaines carences de l’État, contribuant à créer une « convergence d’intérêts » (Chong, 2011) entre les deux protagonistes.
Le parti-État a « pris acte » et toléré la présence de ces nouveaux acteurs, mais en tentant par tous les moyens — mesures préventives et répressives — de les pénétrer, coopter, subordonner, afin de maintenir un contrôle continu. Au Vietnam, certains d’entre eux se sont toutefois distingués par leur liberté de ton, en mettant directement en cause, et à plusieurs reprises, le discours hégémonique du parti. Ces appels pour plus de démocratie, d’ouverture et de changement, prononcés en dehors et à l’encontre de l’appareil d’État sont le signe d’une force sociale montante. Les marges de manœuvre restent toutefois étroites et les régimes en place demeurent vigilants et réactifs, en particulier dans le contexte actuel où les facteurs d’instabilité extérieurs (contagion du printemps arabe, tension en Mer de Chine méridionale) et intérieurs (expropriations foncières, discriminations ethniques et religieuses, corruption, tenue du Congrès national du parti, etc.) sont propices à la contestation.
Côté chinois, les dirigeants ont aussi appréhendé les événements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord au regard des inquiétudes croissantes liées à leurs propres problèmes d’ordre public, de politique intérieure et de société. Le maintien de la stabilité et la recherche d’une « société harmonieuse » [3] ont été considérés sous le mandat du président Hu Jintao comme des tâches prioritaires au service du développement. Instaurer la paix et la concorde sociale s’est révélé un objectif à double tranchant. Côté pile, il a conduit à un recul de la pauvreté, à une prise en compte parcimonieuse des revendications populaires. Des réformes portant sur la reconnaissance administrative de pétitions ainsi que la mise en place d’un système juridique ont aussi été réalisés fin des années 1990. Côté face, la poursuite de cet objectif a impliqué aussi l’élimination des conflits. Des moyens considérables ont été consacrés à la neutralisation des « luttes subversives ».
Cela étant, en dépit du climat répressif, une vague de contestation sociale autour du mouvement Weiquan a pris de l’ampleur depuis 2003 pour dénoncer « le non-respect des droits humains par les autorités locales » mettant en cause « les limites de la loi chinoise », comme l’explique Ya-Han Chuang dans cet État des résistances. En 2011, 100 000 incidents de masse ont été dénombrés par le pouvoir. Les formes de ces luttes populaires ont été variables : les actions en justice, l’usage des médias ont côtoyé les émeutes, les manifestations et les grèves. Ces résistances ont eu pour ressort la liberté d’expression, le droit des travailleurs, le droit à la terre, la sécurité alimentaire, la lutte contre la corruption, etc. Le caractère éclaté et local de ces « incidents » et la figure intouchable et toute puissante de l’autorité centrale demeurent des limites objectives aux luttes actuelles, même si la multiplication et l’« élargissement de la base de mobilisation » témoignent d’un mouvement lent et graduel, qui pourrait à terme conduire à une remise en cause du contexte global d’oppression politique et d’exploitation économique.
Quant à la république d’Iran, elle se distingue, comme le souligne Firouzeh Nahavandi, par ses attributs « islamiste, autoritaire et patriarcal ». « La nature oppressive » du régime est une entrave sérieuse à la participation politique et au développement d’une société civile. Toutefois, elle n’a pu museler les appels au changement, ni empêcher l’émergence de « formes quotidiennes de résistance ». Il s’agit sans doute moins ici de « protestation collective » que de « présence collective », mais ces 1001 pratiques de « microrésistance » et de « désobéissance sociale » témoignent de la créativité et de la pugnacité d’une population face au régime répressif.
Dans les républiques d’Asie centrale, la domination soviétique y a compromis le principe d’action collective des années 1920 aux années 1990 . Aujourd’hui, cet héritage pèse encore sur les rapports entre société et État, et décourage la désobéissance politique. Des germes de résistances sociales existent, mais qui sont pour l’essentiel malmenés et muselés par les autorités. À l’exception du Kirghizistan — dont le système politique est plus ouvert, mais où la crédibilité des contestations est entamée — , les républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan) continuent à être gouvernées d’une main de fer par des dirigeants autoritaires, hostiles à toute forme d’opposition politique ou citoyenne. Les motifs de mécontentement et de frustration sont pourtant légion : problèmes sociaux, corruption et népotisme, auto-enrichissement des élites, etc. Aucun signe manifeste ne laisse penser qu’un basculement pourrait s’opérer à court terme, mais des potentialités de crise sont néanmoins présentes. L’écho que le printemps arabe a eu dans la région témoigne d’ailleurs de cette tendance.
Tourner la page des régimes militaires ?
La Birmanie a vécu ces cinquante dernières années sous une dictature militaire, tandis que le Pakistan qui vient de fêter ces soixante-cinq ans d’existence en a passé environ la moitié sous la houlette des officiers (Boquérat, 2008). Depuis peu, les rênes du pouvoir ont été remises — officiellement du moins — aux mains d’un gouvernement civil, après la défaite, au Pakistan, des partisans de Musharraf lors du scrutin de 2008, et suite à l’autodissolution de la junte en Birmanie. Ce renouveau démocratique s’inscrit toutefois dans un contexte économique désastreux et un climat social explosif. Le retour d’une paix durable, fondée sur un processus solide de réconciliation nationale, semble dès lors encore lointain, en raison notamment des divisions ethniques et des tensions religieuses et communautaires qui déchirent ces deux pays (tout comme l’Afghanistan d’ailleurs).
Les premières ébauches de réformes n’ont pas modifié fondamentalement les structures de domination à l’œuvre, ni touché aux intérêts d’une élite prédatrice. Les défis intérieurs et extérieurs qui pèsent sur ces deux pays sont colossaux et les progrès engrangés en matière de démocratisation n’ont rien d’irréversible. Dans ce contexte en demi-teinte, les sociétés civiles apparaissent toutefois comme une force prometteuse et exigeante, mais le succès de la transition reste conditionné pour une bonne part à l’attitude des élites dirigeantes, civiles et militaires, et au poids du facteur international, déterminant dans ces deux contextes.
Les régimes répressifs ont des effets contradictoires sur les sociétés civiles. Ils peuvent les asphyxier et les réduire à une réalité insignifiante ou paradoxalement stimuler le développement d’actions visibles ou clandestines, tolérées ou réprimées, à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières (notamment dans les cas birman et nord-coréen) ou encore via internet, considéré dans certains cas comme une « technologie de libération » (Biao, 2012). Les oppositions civiques et politiques peuvent selon leur vigueur et leur étendue influer sur les politiques et produire d’éventuels changements, mais le poids et la légitimité du pouvoir en place et l’environnement international et socio-économique — favorable ou contraire – constituent des facteurs cruciaux.
Peloton des pays « démocratiques »
En dépit des contre-exemples qui précèdent, une majorité d’États asiatiques tendent officiellement vers la démocratie. Ce groupe de nations est toutefois loin de constituer un ensemble politique cohérent qui fonctionnerait sur des principes identiques. « Il n’y a pas en Asie un modèle de démocratie spécifique (...), mais des systèmes démocratiques » (Hoffman, 2001). Les fondements (notamment le principe d’égalité) et les degrés d’achèvement démocratique (libéralisation politique, transition, consolidation) varient selon les pays, tout comme le rôle joué par les sociétés civiles dans ces changements et leur articulation avec le pouvoir.
La Malaisie, Singapour et le Cambodge, parfois qualifiés de démocraties autoritaires ou de semi-démocraties, sont des régimes attirés par les contraires. Un jeu politique assez fermé, malgré des élections à peu près libres, n’a laissé que peu de place aux oppositions politiques et citoyennes. Un parti puissant, soucieux de ses prérogatives et du maintien d’un statu quo domine chacun de ces pays. Dans les deux premiers cas toutefois, les lignes sont en train de bouger depuis quelques années.
En Malaisie, les partis de l’opposition et la société civile ont conjointement repris vigueur avec la montée en puissance du mouvement Bersih et sont parvenus à dépasser les clivages communautaires et religieux — que les dirigeants conservateurs et pro-malais alimentent et enveniment — pour réclamer des réformes en matière de gouvernance démocratique. Le succès de Bersih tient à la détermination de ces membres, mais a été amplifié par le contexte dans lequel il a pris place. La perte de crédibilité du gouvernement et du principal parti au pouvoir (United Malays National Organisation – UMNO) depuis 1998, combinée à une contraction de l’économie et à une baisse du pouvoir d’achat, ont contribué à attiser le mécontentement. Sous la pression de la rue et à l’approche des élections, le pouvoir semble avoir opté pour la voie des réformes démocratiques plutôt que pour des mesures répressives. Stratégie politique ou volonté de changement, la société civile malaise devra se montrer vigilante.
À Singapour, le People’s Action Party qui domine la politique singapourienne depuis l’indépendance, a relâché quelque peu la pression autoritaire pour tenir compte des aspirations formulées par sa population. L’émergence d’organisations non étatiques éveillées au fait politique – notamment grâce à internet et aux nouvelles technologies de l’information — témoigne d’une volonté progressive de la part des Singapouriens de rompre avec une tradition de contraintes où la règle autoritaire était largement légitimée.
Enfin au Cambodge, une société civile a fait son apparition suite à la démocratisation du pays dans les années 1990. Des ONG ont tenté de combler les carences de l’État en matière d’accès aux services de base et d’autres de s’affirmer comme « une forme de contre-pouvoir face à un parti au pouvoir dominant », comme l’explique Raoul Marc Jennar dans sa contribution. L’absence d’un cadre légal et institutionnel suffisant, le caractère non abouti de l’État de droit et arbitraire du système judiciaire, ainsi que « le recours à la violence » comme « mode premier de résolution d’un différend » ont toutefois rendu les actions de contestation laborieuses et risquées.
Pour Jude Lal Fernando, les dérives autoritaristes sans précédent observées au Sri Lanka lors de la reconstruction d’« après-guerre » et les signes d’intolérance manifeste de sa démocratie font de ce pays un foyer de crise majeur en Asie. Le gouvernement de Colombo, en se faisant le porte-drapeau de la suprématie de l’idéologie bouddhiste et cinghalaise, a dénaturé le principe d’égalité entre les individus et justifié le déni de droit de la population tamoule opprimée. La militarisation de l’État et les politiques publiques discriminantes ont conduit du même coup à la suppression de toutes formes de contestation à l’encontre du gouvernement et des politiques néolibérales que celui-ci entend mener.
L’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, le Timor-Oriental, la Mongolie, le Bangladesh, le Népal forment un ensemble de pays en cours de démocratisation. Les sociétés civiles ont été des acteurs clés dans les préludes de ces transitions démocratiques et constitué une « force morale » (Alagappa, 2004) qui a contribué à renverser des régimes autoritaires et militaires. Aujourd’hui, malgré les chocs, les crises et les faux pas, les systèmes politiques sont bien implantés et bénéficient d’une relative légitimité. L’ évolution des contextes sociopolitiques a logiquement conditionné le développement des acteurs non étatiques et modifié leurs fonctions. Ceux-ci sont sortis de la clandestinité, ont « pris » un rôle en matière de gouvernance démocratique et créé un espace bénéficiant d’une certaine autonomie — un « pouvoir parallèle », selon Teresa Tadem — , même si l’État dispose toujours de leviers institutionnels, financiers et légaux pour infléchir leurs orientations dans le sens de ses intérêts. Société civile peut rimer avec promotion ou changement démocratique, mais sans que cela ne soit toujours le cas.
Les organisations sociales ont joué un rôle généralement positif dans les contextes de transition. De la promotion de la paix, au renforcement d’un État de droit, à la lutte contre le néolibéralisme, elles ont fait preuve de dynamisme dans de nombreux domaines et ont permis des avancées sociales non négligeables. Néanmoins, les défis auxquels elles continuent à faire face sont multiples. Elles butent par exemple sur la résilience des structures oligarchiques des systèmes politiques. Les élites philippines sont ainsi jusqu’à présent parvenues, toujours selon Teresa Tadem, à « neutraliser les effets des réformes politiques de l’ère post-Marcos » et à déjouer les tentatives du secteur non étatique pour modifier la structure politique traditionnelle. En Thaïlande, l’establishment a quant à lui été sérieusement inquiété. Les coalitions des chemises rouges, qui battent le pavé de Bangkok à épisodes réguliers depuis 2006, ont en effet formé un mouvement de masse sans précédent — comme l’analyse Pavin Chachavalpongpun dans cet État des résistances dans le Sud —, issu de la base, soutenu par la population, pro-démocratique et soucieux d’égalité, qui a osé défier la domination politique exercée par « le palais, les militaires, les hauts fonctionnaires et les entreprises ».
L’ « âge des oligarques » se caractérise par la domination à la tête du pouvoir d’une minorité de « superriches » qui détourne sans complexe les ressources de l’État. En Indonésie, au Bangladesh ou en Mongolie, le mécontentement et les frustrations des masses populaires dues à la pauvreté et au creusement des inégalités, à la corruption généralisée, aux fléchissements démocratiques auraient pu se traduire par une poussée de fièvre, déstabilisatrice pour les tenants du pouvoir. Toutefois, l’omniprésence de la distribution clientéliste et des discours populistes qui lui sont associés ont été propices à la dépendance politique, fragilisant ou affadissant les résistances actuelles. La valorisation par l’État ou les bailleurs internationaux (comme au Timor) d’organisations non gouvernementales non conflictuelles et apolitiques, engagées dans un segment précis de la vie sociale, a également contribué à fragmenter et, du même coup, à étouffer les revendications.
Un dernier ensemble de pays serait constitué de l’Inde et des puissances taïwanaise et sud-coréenne qui disposent de nombreux attributs démocratiques : stabilité politique, élections libres, multipartisme, alternance au pouvoir, etc. Ces performances démocratiques sur le terrain politique masquent toutefois des sociétés inégalitaires et hiérarchisées qui posent de nombreux défis aux acteurs sociaux et politiques. Agir sur les impacts sociaux et environnementaux du développement de la « plus grande démocratie du monde » et des « dragons », et interroger leur modèle de « croissance à tout prix », constituent des enjeux de taille pour les sociétés civiles.
Par ailleurs, celles-ci jouent un rôle crucial de gardiens de la démocratie. Certes, les régimes ne sont pas directement menacés dans leurs fondements, mais ils sont tous confrontés à des problèmes internes ou externes qui exigent une certaine vigilance. La corruption généralisée en Inde a conduit à la constitution d’un mouvement controversé mené par Anna Hazare qui a mobilisé des centaines de milliers de personnes, l’érosion du sécularisme et les enjeux d’accès à la terre et aux ressources (en particulier des adivasis et des dalits) ont conduit à des flambées de violence, notamment de la part de et envers la guérilla naxalite. À Taïwan, les mouvements sociaux se sont mobilisés, comme l’explique Michael Hsiao dans cet ouvrage, contre la politique réactionnaire et autoritaire du KMT et l’effritement « de l’identité nationale face au nationalisme hostile et agressif de la Chine ».
Les marges de manœuvre dont disposent ces trois oppositions en Inde, en Corée du Sud et à Taïwan sont plus larges qu’ailleurs en Asie. Elles disposent d’un cadre légal et institutionnel qui leur assure des droits. Cette « garantie » d’autonomie doit toutefois être modérée en raison du poids de l’acteur étatique, mais aussi des zones de recouvrement, des relations d’interdépendance – voire d’alliances — qui existent entre mouvements sociaux et politiques. À Taïwan, les organisations militantes se sont mobilisées en faveur du parti d’opposition (DPP) pour obtenir le « premier changement de régime pacifique » en 2000, avant d’enregistrer de profondes déconvenues. A contrario, en Corée du Sud, la faiblesse et le manque de leadership du parti progressiste ont entravé le développement des résistances citoyennes et les ont privées jusqu’ici d’un soutien sur la scène politique. Les sociétés civiles ne constituent donc pas des espaces indépendants de l’influence de l’État qui fonctionneraient en vase clos. La frontière entre eux est poreuse et le passage de l’un à l’autre (en termes d’idées ou d’acteurs), fréquent. Le cas de l’Inde est à ce titre emblématique : les mécanismes de cooptation de la société civile ou de pénétration de la sphère étatique y sont monnaie courante.
État et société civile : une influence réciproque en évolution constante
Comparer des dynamiques sociales dans des contextes aussi variés ou dresser un profil type de société civile asiatique est un exercice a priori illusoire. Tentons dès lors de dégager des points de convergence et d’identifier quelques tendances communes.
Prise en compte croissante des sociétés civiles
L’attitude des gouvernements asiatiques envers leurs sociétés civiles respectives couvre un large spectre allant de l’acceptation au rejet. Tantôt, les acteurs non étatiques sont perçus comme une force positive qui serait le gage d’une démocratie avancée, tantôt, ils sont vus comme un frein à leur politique. Dans le premier cas, un cadre légal est instauré pour faciliter leur développement, dans l’autre, des mesures préventives ou répressives sont prises pour supprimer, limiter ou contrôler l’espace qu’ils occupent et le rôle qu’ils ont. Une constante toutefois, malgré la variété des systèmes politiques en présence : les sociétés civiles « affectent » l’attitude des dirigeants et font désormais partie de l’équation politique. Ceci tient à un double facteur : d’une part, à l’attachement des dirigeants pour la stabilité politique (et leur souci croissant d’apparaître comme « légitime ») qui les amèneront soit à concéder des réformes dans un souci d’apaisement, soit à user de mesures compensatoires ou dissuasives pour ramener l’ordre ; d’autre part, à l’affirmation progressive d’acteurs sociaux soucieux de relayer les revendications des masses exclues, des minorités et des faibles et d’agir sur la structure ou les politiques de l’État.
Un État toujours incontournable
Un second point de convergence parmi les cas étudiés est l’influence centrale de l’État sur le développement des sociétés civiles. Malgré leurs efforts pour se constituer en un espace autonome, celles-ci restent conditionnées par l’attitude et les intérêts des tenants du pouvoir. En effet, « l’État a le pouvoir, de par les capacités institutionnelles à sa disposition, de déterminer le caractère et l’agenda des sociétés civiles » (Chong, 2011). Les gouvernements autoritaires gardent ainsi la haute main sur les sociétés civiles, rendant la confrontation directe difficile et risquée. Résultat des courses : soit les dissidents et opposants au régime s’organisent clandestinement, à l’étranger ou au moyen des nouvelles technologies de l’information, soit la société civile est pénétrée, cooptée et instrumentalisée au service de l’État. Les manifestations antichinoises au Vietnam suite à des incidents en Mer de Chine méridionale ont ainsi été tolérées dans un premier temps par les autorités qui partageaient le sinoscepticisme de sa population. Mais la tournure « trop » nationaliste (« La terre appartient au peuple seul ») prise par les événements, qui risquaient au final de se retourner contre l’État, a conduit les autorités policières à interdire les rassemblements et à réprimer les manifestants.
Dans le cadre des pays démocratiques, l’empreinte de l’État sur le développement des sociétés civiles n’est pas uniforme : parfois, les gouvernements ont contribué à l’éclosion d’une sphère non étatique forte, institutionnalisée et indépendante comme en Corée du Sud et à Taïwan, parfois la relative faiblesse des États n’a pas permis d’atteindre ce stade de développement, comme aux Philippines, en Thaïlande ou au Bangladesh. Un problème aigu rencontré au Sri Lanka et en Malaisie est l’exacerbation par l’État d’une identité ethnique, religieuse ou culturelle qui se répercute sur les organisations sociales. Dans ces deux cas, l’État a failli dans sa mission d’arbitrage dans les relations interconfessionnelles ou interethniques. Il s’est dressé en défenseur du groupe majoritaire, négligeant les droits les plus élémentaires des franges marginalisées ou opprimées. La société civile se trouve alors polarisée autour de ces lignes de fracture, rendant difficile la mission de dresser des ponts entre les communautés. Le mouvement Bersih en Malaisie a toutefois évité ce piège tendu par les dirigeants, rendant cette mobilisation légitime aux yeux d’une frange importante de la population.
Avancées et limites des sociétés civiles d’Asie
Ces protagonistes, malgré les avancées et leurs contributions, ne doivent pas être idéalisés. Une vision trop « romantique » aurait tendance à les représenter exclusivement comme une force morale irréprochable, comme un contre-pouvoir indépendant de l’État, ou comme des acteurs de changement démocratique, ce qu’ils n’ont pas toujours été.
Les mobilisations massives, les soulèvements populaires qui ont conduit au renversement de régimes oppressifs en Asie représentent « une » forme prise par les sociétés civiles, particulièrement frappante pour les esprits en raison de l’ampleur, de la radicalité de l’action et de la communion d’acteurs sociaux (et parfois politiques) différents. La manifestation de la société civile sous une forme aussi cohérente et unie est toutefois exceptionnelle. Au quotidien, elle ressemble davantage à « une arène de pouvoir » (Alagappa, 2004) – dans un cadre politique devenu globalement plus légitime — où des intérêts et des visions compétitives s’affrontent. Au-delà du choc des idées et des orientations politiques, la taille, l’ancrage social, les ressources disponibles, les relais et les réseaux dont les acteurs disposent rendent ce terrain de luttes très inégal.
Une seconde représentation communément admise de l’État et de la société civile est celle de deux entités distinctes et autonomes – l’une incarnant le pouvoir, l’autre le contre-pouvoir — qui se font face et s’affrontent. Or, cette image ne colle pas toujours à la réalité. Les rapports ne sont pas nécessairement conflictuels et contraires. En Afghanistan, les organisations locales et les réseaux ou partis nationaux entretiennent une « relation distanciée et négociée » avec l’État, comme nous l’explique Anna Larson, coordinatrice de plusieurs programmes de recherche pour l’Afghanistan Research and Evaluation Unit à Kaboul. Pour Boike Rehbein, la société civile laotienne avant 2009 était composée essentiellement d’« organisations de masse », de « groupements de citoyens » relevant du Parti et reconnus dans une certaine mesure par les Laotiens comme « représentant leurs intérêts ». Idem en Chine, où des « communautés libérales » — les défenseurs de droit, notamment — coexistent avec des organisations « corporatistes » — les Government organised NGOs (GONGO) , par exemple—. Dans le cadre d’un environnement autoritaire surdéterminant, certaines entités de la société civile s’exposent pour contester l’exploitation et les abus de pouvoir, tandis que d’autres apparaissent davantage « comme un soutien plutôt que comme un défi à l’ordre politique autoritaire » (Pils, 2012).
Dans d’autres contextes — en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines ou en Mongolie par exemple — , les rapports ont été mis à profit, utilisés et instrumentalisés par les uns comme par les autres à des fins personnelles ou d’intérêt collectif. Des activistes sociaux ont mis le pied à l’étrier politique, parfois pour des motifs d’ascension sociale, parfois pour provoquer des réformes depuis l’intérieur du système. Dans ce dernier cas, les gouvernants ont tantôt détourné le processus politique à leur avantage, tantôt respecté la carte de la « stratégie concertée », comme l’explique Edward Aspinall. Par ailleurs, des acteurs civils et politiques ont aussi agi de concert, mais dans leurs sphères respectives, pour œuvrer au renforcement de processus démocratiques. Les sociétés civiles asiatiques n’ont donc pas pour vocation première l’affaiblissement de l’État. Ensemble, ils peuvent aussi se renforcer mutuellement, en convergeant vers un but commun.
Enfin, un dernier cliché « flatteur » à débattre est celui des sociétés civiles comme acteurs de changements démocratiques supposés. Une chose est de constater que certaines organisations ont endossé ce rôle et ont eu un impact démocratique reconnu. Une autre est d’établir une connexion, presque mécanique, entre société civile et changement démocratique, entre « densité de la société civile » et « vigueur de la démocratie ». Ou pour le dire abruptement, « toutes les organisations de la société civile ne soutiennent pas le développement démocratique » (Alagappa, 2012). Des épisodes passés et présents témoignent de cette réalité. En Thaïlande, un segment conservateur de la société civile et politique, les « chemises jaunes » luttent ainsi toujours fermement contre les « coalitions des chemises rouges » pour maintenir les élites traditionnelles au pouvoir, au mépris des fondements démocratiques les plus élémentaires (cf. le coup d’État militaire en 2006).
En Afghanistan, Anna Larson souligne comment les organisations de la société civile « sont mues par des intérêts à caractère ethnique et local, davantage que par des enjeux politiques ». « À l’heure actuelle, le lien évident qu’établissent les donateurs internationaux et les intellectuels occidentaux entre société civile, démocratisation et État est tout simplement inexistant dans le paysage politique afghan ». Les sociétés civiles peuvent dès lors contribuer, on le voit, à « élargir » ou « contracter » (Alagappa, 2012) les marges démocratiques existantes, être acteur de changements démocratiques ou gardien de l’ordre établi.
Les contributions proposées dans cette édition d’État des résistances dans le Sud illustrent les paradoxes qui traversent les sociétés civiles d’Asie. Malgré les défis auxquels elles font face, leur ancrage sur la scène asiatique et les conquêtes sociales et démocratiques obtenues témoignent globalement de leur vitalité et de leur montée en puissance. Dans la majorité des pays asiatiques, les sociétés civiles affectent désormais les États, même si l’État affecte plus encore les sociétés civiles. Cette influence mutuelle, cette interdépendance pragmatique ne signifient pas pour autant que les acteurs non étatiques soient devenus les « appendices » des « détenteurs du pouvoir » (Tadem, 2012). Certes, certains d’entre eux ont été infiltrés et neutralisés, mais d’autres ont réussi à contourner le piège de la cooptation, permettant la constitution d’espaces d’autonomie formels ou informels, allant de la désobéissance sociale à la contestation des régimes en place, ce qui préfigure, comme le dit Hai Thiem Bui au sujet de la société vietnamienne, « le rôle que pourrait jouer à l’avenir la société civile en tant que force sociale de changement ».
Bibliographie
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