En mars, au Panama, le mouvement syndical des Amériques a fait un important bond en avant avec la création de la Confédération syndicale des Amériques (CSA). Cette nouvelle entité, issue de la fusion entre l’ORIT (Organisation Regional Inter-americana de Trabajadores) et la CLAT (Central Latinoamericana de Trabajadores), est une véritable lueur d’espoir pour les travailleurs du continent, car elle représente une force de 50 millions d’affiliés dans des organisations syndicales actives depuis le Canada, passant par les Caraïbes, jusqu’à Punta Arenas, à l’extrême sud du Chili. La CSA fait désormais partie de la Confédération syndicale international (CSI), organisme représentant 168 millions de travailleurs dans 155 pays au sein de 311 organisations nationales affiliées.
Nombreux sont les défis de la CSA. Intégration versus libre commerce et investissement, la problématique des migrations, le développement durable, les multinationales, la répression syndicale en Colombie figurent parmi les axes centraux d’action de la nouvelle confédération. Déjà dans son Congrès de fondation, la CSA a enclenché l’établissement de plateformes sur le travail et le développement pour guider sa démarche. L’objectif de la CSA est de construire, avec les populations des Amériques, des modèles de développement national en interaction harmonieuse avec le niveau global, régional et local. Il s’agit pour la CSA de participer à la construction de processus alternatifs au modèle néo-libéral en impulsant une stratégie de développement durable. Certes, ces déclarations de bonnes intentions sont réconfortantes et pleines d’espoir, mais leur concrétisation passe, entre autres, par le renforcement du mouvement syndical dans les régions et pays où le niveau d’organisation des travailleurs est encore très faible. Sans doute une de ces régions est l’Amérique centrale.
L’Amérique centrale, qui se remet lentement des conflits sanglants et destructeurs qui l’ont ravagée durant les années 1980 et 1990, fait piètre figure quant à la situation du syndicalisme et les droits des travailleurs. En proie aux classes économiques dominantes enclines à pratiquer un capitalisme sauvage, les pays de l’Amérique centrale sont peu syndiqués et connaissent de nombreux types d’abus et de répression liés au syndicalisme, impensables et inacceptables de nos jours.
Au Salvador, par exemple, les pouvoirs étatiques s’arrangent pour nuire aux droits de libre association sans trop se gêner. En octobre 2007, la Cour supérieure du pays a déclaré inconstitutionnelle une partie de la Convention 87 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Ainsi, l’État salvadorien interdit aux employés publics de s’organiser en syndicats, d’avoir des conventions collectives et de se prévaloir du droit de grève. Pourtant, l’État salvadorien, pressé d’obtenir la certification de respect des normes internationales du travail pour souscrire aux traités de libre commerce, a ratifié en 2006 les conventions de l’OIT.
Au Guatemala, les assassinats de syndicalistes sont toujours à l’ordre du jour, même si, en janvier, le président du pays, Alvaro Colom, s’est engagé publiquement à faire cesser la violence contre le mouvement syndical lors d’une Conférence internationale contre l’impunité au pays, organisée précisément à la suite d’assassinats de syndicalistes en 2007. Étant donné la gravité de la situation, le cas du Guatemala fait l’objet d’un suivi spécial par la CSI. Au Honduras et au Panama, il y a aussi eu des assassinats de syndicalistes en 2008 tandis qu’au Nicaragua et au Costa Rica, on enregistre aussi des cas flagrants de répression syndicale.
Les rapports annuels de 2007 sur les droits syndicaux des pays d’Amérique centrale publiés par la Centrale syndicale internationale (CSI) font état de congédiements collectifs et individuels pour empêcher la formation des syndicats, de menaces de morts et de harcèlement contre les syndicalistes, de fermeture de centres de travail, de circulation de listes noires de syndicalistes entre employeurs et de toute une panoplie des manœuvres afin d’écraser le mouvement syndical, surtout dans les zones franches et les maquiladoras. Et comme si ce contexte adverse n’était pas suffisant, les travailleurs de l’Amérique centrale se voient confrontés à des problèmes d’unité. Selon de récentes déclarations de Rafael Freire, dirigeant de la CSA, le syndicalisme dans la région est très divisé, car il y a, en ce moment, 40 centrales syndicales. Cette division serait, selon Freire, une des raisons pour lesquelles il y a eu très peu de résistance syndicale pour l’approbation en 2007 du traité de libre commerce avec les États-Unis (CAFTA-CR) — à l’exception du Costa Rica, pays où le CAFTA-CR n’est pas encore entré en vigueur à cause d’une tenace opposition des mouvements sociaux et syndicaux. En signalant qu’il faut créer un organisme coordinateur qui regroupe toutes les centrales de la région, Freire a rappelé qu’il est fondamental de placer le travailleur au centre de l’activité syndicale en acceptant les différentes tendances tout en évitant les pièges des intérêts partisans.
En somme, même si la création de la CSA donne une voix forte et responsable aux travailleurs des Amériques face aux politiques néo-libérales, les défis sont immenses. Un de ces enjeux est le renforcement du mouvement syndical en Amérique centrale. Ignorer cette situation ne ferait qu’affaiblir le syndicalisme au détriment des populations des Amériques.