« N’envoyez plus d’équipes de secours, il y a suffisamment d’experts étrangers à Katmandou et dans ses environs pour faire face aux besoins immédiats. » Quatre jours après le violent séisme qui a fait 5 000 morts et affecté huit millions de Népalais, l’appel lancé jeudi par les Nations unies aurait de quoi surprendre.
Des milliers de victimes errent toujours dans les rues de la capitale en quête de logement, d’eau et de nourriture. Faute d’infrastructures de survie et de réserves alimentaires en suffisance, la colère gagne de plus en plus ouvertement cette foule hagarde, qui tente par tous les moyens de quitter la ville, quitte à se frotter aux forces de l’ordre et provoquer une émeute. (Lire ci-contre).
« Nous n’avons jamais dit que l’aide internationale n’était plus nécessaire », rectifie immédiatement Leszek Barczak du Bureau des affaires humanitaires des Nations unies, en poste à Katmandou. « Le Népal a encore besoin d’une assistance massive, mais nous en sommes déjà au quatrième jour de recherches proprement dites. Les chances de retrouver des survivants sont pratiquement nulles. Alors nous passons à la deuxième étape : l’assistance humanitaire. »
500 000 personnes à la rue
Selon des dernières estimations des Nations unies, plus de cinq cent mille personnes dorment quotidiennement dans la rue par peur des répliques ou parce que leurs maisons ont été endommagées ou détruites. Un million et demi de Népalais sont en situation d’insécurité alimentaire, et plus de quatre millions d’entre eux ont un besoin imminent d’eau potable et d’infrastructures sanitaires.
« La priorité, aujourd’hui, c’est l’accès de toutes ces personnes à l’eau, l’alimentation, les soins de santé, et à un nombre suffisant d’abris temporaires », poursuit Leszek Barczak. « La mousson commence généralement en juin et pourrait provoquer une véritable catastrophe humanitaire et une épidémie de choléra, si nous ne sommes pas capables de fournir un nombre suffisant d’abris à la population. C’est la raison pour laquelle les Nations unies ont officiellement lancé ce jeudi un appel à réunir 415 millions de dollars. » (lire ci-contre).
Concentrées dans un premier temps au cœur de la capitale, la plupart des équipes d’intervention d’urgence ont donc été redéployées dans les zones montagneuses difficilement accessibles, où nombre de personnes n’ont toujours pas vu l’ombre d’un secouriste. A l’image de B-Fast, qui est finalement arrivée mercredi soir dans le district de Gorkha, l’un des plus touchés par le séisme, où des habitants se seraient précipités quelques heures plus tôt vers un hélicoptère de l’armée indienne pour réclamer de l’eau et des vivres.
Les touristes d’abord
Les 250 personnes qui avaient été portées disparues dans un village montagneux du parc national de Langtang, au nord de Katmandou, ont, elles, pu être localisées et évacuées par hélicoptère après que deux d’entre elles ont été tuées par une nouvelle avalanche, mardi. Selon un alpiniste israélien, des tensions auraient éclaté entre les groupes de trekkeurs bloqués et les villageois népalais qui tentaient désespérément d’être évacués sans avoir la chance des groupes de marcheurs étrangers.
« Les autorités reçoivent des appels à l’aide de toute part, mais sont dans l’incapacité d’organiser simultanément les secours dans de nombreux endroits en raison du manque d’équipement, de spécialistes et des mauvaises conditions météorologiques », a reconnu mercredi le Premier ministre népalais, Sushil Koirala. Un avion britannique transportant plus de 1 100 abris de première nécessité et 1 700 lampes solaires est finalement parvenu à atteindre le Népal, mais l’unique aéroport international du pays est congestionné depuis le début de la catastrophe, ce qui rend extrêmement compliqué l’acheminement de l’aide. Ceci explique que l’équipe de B-Fast soit restée bloquée en Inde pendant deux jours, et qu’un avion français soit toujours coincé aux Emirats arabes unis.
Sauvetage ou opération diplomatique ?
Les heures qui suivent une catastrophe majeure comme celle qui vient de se produire au Népal sont généralement le théâtre d’un flot ininterrompu de messages de soutien et de promesses de dons venus des quatre coins de la planète. Fort heureusement, d’ailleurs, puisque très peu de pays seraient capables d’affronter seuls un tel torrent de destructions, qu’ils soient richissimes (Katrina aux États-Unis) ou en voie de développement (Philippines, Népal, Pakistan). Mais l’échec de la reconstruction d’Haïti cinq ans après le séisme qui avait dévasté l’île pose aujourd’hui la question de l’efficacité de cette aide, et des objectifs poursuivis par les intervenants.
Le dernier arrivé a perdu
« Depuis dix ans, on assiste à une prolifération des ONG dans la gestion des grandes catastrophes », analyse le chercheur du Cetri Frédéric Thomas. « Le premier mois qui a suivi le tremblement de terre en Haïti, on en a recensé plus de 1 000 sur le terrain. Ce qui pose un problème évident de coordination logistique. » « Une assistance internationale est indispensable », reconnaît le chercheur. « Mais elle doit d’abord être filtrée ou elle ne fera que compliquer la tâche des autorités. Au Népal, une fois de plus, on voit chaque pays arriver avec son équipe et son matériel sans même connaître les besoins réels sur le terrain. Or, il faut stocker ce matériel, nourrir, loger et transporter ces intervenants, et on voit bien que ça ne fonctionne pas puisque l’aéroport de Katmandou est complètement congestionné. Au lieu de vouloir être absolument le premier arrivé sur place pour communiquer là-dessus, il vaudrait mieux attendre 24 heures et évaluer davantage les besoins de la situation. Les pays qui connaissent beaucoup mieux le terrain, comme l’Inde dans ce cas-ci, sont beaucoup plus efficaces. »
Au fait de ces critiques, B-Fast répond habituellement que son intervention est planifiée en concertation avec les Nations unies et que les chances de retrouver des survivants sont beaucoup plus importantes dans les premiers jours, quitte à évaluer les circonstances une fois sur place. Et à rester bloqué de longues heures dans le pays voisin.