D’une manière générale, il est peu fréquent d’entendre un ambassadeur
donner ses instructions aux citoyens du pays dans lequel il réside. Sauf au
Honduras. C’est ainsi que, le 8 novembre, la représentante des Etats-Unis à Tegucigalpa, Lisa Kubiske, évoquant les élections générales de dimanche, a annoncé : « Les résultats de la présidentielle ne seront pas connus le soir même en raison de l’étroite différence avec laquelle elle sera gagnée. » Avant de s’inquiéter – « Les gens ne vont pas vouloir attendre, ils vont commencer à entendre des choses ici et là » – et de recommander : « Vous devez avoir confiance dans le Tribunal suprême électoral [TSE] ; c’est lui qui dira qui l’a emporté. »
« Cette dame, qui convoque, quand elle en a envie, les magistrats de ce
TSE, nous dit ce qui va arriver dimanche, s’emporte Ricardo Salgado,
secrétaire aux relations internationales du parti d’opposition Liberté et
refondation (LIBRE). Cette ingérence insupportable n’est possible que parce
que nous avons un gouvernement totalement dépendant. » Un gouvernement dont les membres, issus du Parti national (PN), tout comme le
chef de l’Etat en exercice, Porfirio Lobo, ont activement participé au
coup d’Etat qui, le 28 juin 2009, a renversé Manuel Zelaya, coupable d’avoir
mené une politique de gauche modérée et d’avoir fait adhérer le Honduras à l’Alliance bolivienne pour les peuples de notre Amérique (Alba), aux côtés du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur, de Cuba, du Nicaragua, etc.
Echec aux putschistes
Ce 24 novembre, 5,4 millions de Honduriens sont appelés à élire leurs
maires, députés et président. Avec une particularité : les deux grands partis traditionnels – PN et Parti libéral (PL) –, « propriétaires » du pouvoir depuis plus d’un siècle pour le compte d’une poignée de familles de l’oligarchie, affrontent une possibilité réelle d’être battus (M. Zelaya, en son temps, avait été élu sous les couleurs des libéraux, avant d’être trahi par une
partie de ses « amis »). En effet, en envoyant un commando de militaires
encagoulés chasser ce dernier du pouvoir, les putschistes n’avaient pas prévu
que les secteurs démocratiques et populaires, malgré la répression, ne
baisseraient pas les bras. Et que, quatre ans plus tard, ils trouveraient
sur leur route une force politique nouvelle, LIBRE, issue de la résistance, et
emmenée par la propre épouse de M. Zelaya (qui ne peut se représenter),
Xiomara Castro.
On aurait tort de croire que Mme Castro ne doit son statut de candidate qu’au fait d’être « la femme de ». Choisie par consensus lors des primaires du parti, elle a courageusement gagné ses galons en menant dans la rue les manifestations pour le retour de « Mel » (le surnom affectueux donné à Zelaya), puis contre la politique néolibérale du gouvernement.
Militarisation
Pendant toute cette période, en effet, le Congrès, avec comme président Juan Orlando Hernández – l’actuel candidat du Parti national à la fonction de chef de l’Etat –, a fait passer diverses lois éliminant les droits des travailleurs, attaqué brutalement les enseignants, affronté en permanence
le mouvement social et a offert le patrimoine national à la rapacité du marché. Aujourd’hui, 67% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, soit 5,5 millions de personnes, dont 3,8 millions dans l’indigence. Le pays est aussi devenu l’un des plus violents du monde, avec un taux d’homicides de 86 pour 100 000 habitants. Ce n’est pourtant pas faute de forces de sécurité ! Fortement critiquée par les mouvements citoyens, la création récente d’une Police militaire d’ordre public (PMOP) s’insère dans un processus de militarisation croissante de la société, commencée en novembre 2011, quand le Congrès a approuvé l’octroi de fonctions policières à l’armée.
En guise de programme, M. Hernández annonce qu’il poursuivra
cette militarisation, qu’il générera de l’emploi en promouvant les usines
de sous-traitance (les maquilas, connues pour leur dédain à l’égard des
droits des salariés) et en faisant semer 125 000 nouveaux hectares de palme
africaine et 50 000 de canne à sucre [1]. De quoi faire hurler dans la région du Bas Aguán, au nord-ouest du pays, où le conflit agraire causé par l’expansion de la monoculture de la palme et l’impossibilité d’accéder à la terre pour des milliers de familles, a laissé un solde d’au moins soixante paysans organisés assassinés par les hommes de mains des grands propriétaires, depuis le coup d’Etat. « Jusqu’à présent, il n’y a eu aucune enquête et l’impunité demeure totale », résume Bertha Oliva, coordinatrice du Comité des familles des détenus disparus du Honduras (Cofadeh).
Violence et désinformation
Neuf partis vont participer à la compétition électorale, dont quatre
surgis depuis le coup d’Etat. Mais un seul, LIBRE, qui se réclame d’un socialisme démocratique, caracole en tête des sondages depuis de nombreux
mois – même si, dans la dernière ligne droite, le Parti national semble sur ses talons. Pour l’« élite », l’heure est grave : « On a une entreprise privée sous-développée, peu créative, amarrée à deux secteurs fondamentaux : l’importation de biens somptuaires et le marché de la spéculation financière,
explique M. Salgado. Pour le reste, près de 50% du PIB du Honduras provient des activités dans lesquelles est impliqué l’Etat. Qui est au gouvernement contrôle la moitié de l’économie. » Un beau gâteau !
Propriétés de l’oligarchie, les chiens de garde médiatiques se déchainent :
« Pour le chef de campagne du Parti national, Oscar Álvarez, annonce
l’un d’eux, El Heraldo, le 20 novembre, l’intention des sympathisants
de LIBRE est d’instiller la peur dans la population pour que les citoyens ne
votent pas. » Ou encore : « Dans les réseaux sociaux a circulé la version que le parti LIBRE prétend déclencher des incidents le jour des élections, pour ne pas reconnaître sa défaite. »
Dans la « vraie vie », entre mai 2012 et octobre 2013, trente-neuf candidats
de divers partis politiques ont été assassinés (et six ont été victimes d’attentats), dont 50% étaient membres de LIBRE. Vingt-huit journalistes ont
subi le même sort depuis le coup d’Etat. Tandis que Mme Castro annonce
« un pacte social incluant le renforcement des institutions de l’Etat, un fort
investissement en direction des défavorisés, une Assemblée nationale
constituante et la participation directe des citoyens », ses partisans et militants attendent l’heure H avec enthousiasme, certitude de la victoire
et... une évidente appréhension.
Manoeuvres antidémocratiques
Juan Orlando Hernández (surnommé JOH) l’a annoncé à la radio : « Je vais faire tout ce qui est nécessaire pour gagner ces élections. » Discours
normal, dans la bouche de n’importe quel candidat. Sauf que, rappelle Juliette Handal, postulante à la fonction de designada (une sorte de vice-présidente) aux côtés de Xiomara Castro, « les primaires du Parti national, qu’il a remportées, ont été entachées par une fraude phénoménale, dénoncée depuis l’intérieur du parti » ; son adversaire, Ricardo Alvarez, a demandé un recomptage des voix qu’il n’a jamais obtenu.
Sauf que, le 22 mai, des milliers de Honduriens ont dû descendre dans la
rue, à l’appel de LIBRE, pour empêcher les députés d’approuver une
nouvelle loi électorale changeant les règles du jeu : alors qu’est déclaré vainqueur celui qui obtient le plus de voix, sans nécessité de parvenir à 50%, ils entendaient instaurer un second tour permettant à la droite de se rassembler contre l’intrus.
Sauf que la chef de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne
(Moe-ue), Ulrike Lunacek, s’est dite préoccupée, lors d’une conférence de presse, « par le manque de transparence du financement de la
campagne électorale ». Sans en dire plus. Mais, dans les rues, lorsqu’on observe le déploiement publicitaire massif, omniprésent, on a l’impression
qu’il n’existe qu’un seul candidat, JOH, et qu’un seul parti – le sien.
Après avoir évoqué un vote électronique, le TSE a opté pour scanner
les feuilles de résultats de chaque bureau de vote et, pour ce faire, a sollicité
l’assistance de la République dominicaine, du Paraguay et du Guatemala.
Très rapidement, la République dominicaine a renoncé à cette mission
« parce qu’il n’y a(vait) pas de volonté de transparence ». Un jour après, le Paraguay en faisait autant. « On a fait des essais, grimace M. Salgado, et la capacité de transmission réussie est de 30%. » Tout comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui a convoqué les partis pour leur dire que « ce système de transmission n’est pas fiable », Xiomara Castro, a dénoncé le 20 novembre « ces graves irrégularités ».
Quel plan B pour la droite ?
Le pire n’étant jamais sûr, beaucoup entendent rester confiants. S’appuyant
sur vingt mille collectifs répartis dans tout le pays, LIBRE estime que
s’il y a un vote massif, il neutralisera la fraude. Par ailleurs, le coup d’Etat et
ses suites ont eu des répercussions désastreuses sur l’économie. En interne,
la droite est traversée de contradictions. L’ancien président du Conseil
hondurien de l’entreprise privée (Cohep), Adolfo Facussé, ne vient-il pas
d’apporter son soutien à LIBRE en déclarant : « A quoi nous sert une population morte de faim ? Quelles affaires faisons-nous ? »
Compte tenu de la forte observation internationale, les conditions, a
priori, ne se prêtent pas à une fraude. Il n’empêche... Oubliant les déclarations de l’ambassadrice américaine sur la nécessité de laisser du temps au temps, le TSE vient d’annoncer qu’il donnera des résultats préliminaires, obtenus par téléphone, dimanche, à... 18 h 40. « Ils n’ont pas l’intention que ça fonctionne, gronde un militant de LIBRE, ils ont déjà leur plan B. » Réponse en fin de week-end, lundi, mardi,
plus tard peut être – nul ne le sait.