De son côté, le Parlement a souhaité mettre en avant les efforts consacrés par l’Union à l’aide au développement. Un choix qui ne tombe pas par hasard, dans la mesure où 2015 a été très solennellement désignée « année européenne » dédiée à cette cause et qu’une série de grandes réunions internationales visant à se fixer de nouvelles ambitions en la matière sont à l’agenda de juillet et de septembre. Alors que les précédents « Objectifs du millénaire » - réduction de la mortalité infantile, de la faim… - n’ont pas été tenus…
Une UE généreuse...
Ce qui ne signifie pas que rien n’a été fait. L’UE met ainsi en avant son bilan chiffré, rappelant que les Européens consacrent collectivement 56,5 milliards d’euros annuels (chiffres 2013) à la lutte contre la pauvreté dans le monde. Ce qui représente plus de la moitié de l’aide publique mondiale. De l’argent qui sert à financer des projets en matière de santé ou d’éducation, notamment, dans environ 150 pays.
... mais avec une part d’ombre
Mais ce bulletin de premier de classe ne doit pas occulter d’autres réalités. D’abord le fait qu’il manque une quarantaine de milliards d’euros par an pour respecter l’objectif que l’UE s’était fixé à l’horizon 2015 : consacrer 0,7 % de son PIB à l’aide au développement. On en est loin puisque, selon l’OCDE, seuls quatre Etats membres (Royaume-Uni, Danemark, Luxembourg et Suède) atteignaient cet objectif en 2014.
Ensuite, parce que, toujours selon l’OCDE, l’aide orientée vers les pays les plus pauvres - et singulièrement l’Afrique subsaharienne - a sérieusement « décroché » depuis huit ans. L’argument, souvent entendu parmi les Vingt-huit, selon lequel il faut aider ces populations à se développer dans leurs propres pays pour freiner le phénomène migratoire, prend du coup du plomb dans l’aile.
« Il n’y a aucune vision commune sur le long terme », dénonce l’eurodéputée socialiste Ana Maria Gomes. « Dans la pratique, les politiques de développement mises en œuvre ces dernières années l’ont été sans cohérence avec nos politiques dans d’autres domaines comme la politique extérieure, la politique énergétique ou de sécurité. Au lieu d’aider ces pays à créer les conditions pour retenir leur population, on a parfois contribué à renforcer des régimes autoritaires, répressifs et corrompus, qui poussent justement les gens à fuir leur pays. »
« La Commission n’a jamais eu l’audace de pousser les Etats membres à assumer leurs responsabilités collectives » , ajoute cette ancienne ambassadrice, pointant du doigt le cynisme qui a caractérisé les années Barroso. « On a privilégié des intérêts commerciaux en favorisant des gouvernements qui donnent des retours à nos entreprises et en fermant les yeux devant certaines exactions. Il faut au contraire acheminer l’aide vers les acteurs de la société civile qui font un travail de terrain. L’Europe ne doit pas se comporter comme la Chine dont le seul but est d’extraire partout les ressources naturelles dont elle a besoin. L’objectif de l’aide au développement doit aussi être de faire rayonner la démocratie, l’Etat de droit et la bonne gouvernance. »
« Une politique subordonnée au commerce et au marché »
Politologue et chercheur au Centre tricontinental, Frédéric Thomas porte lui aussi un regard critique sur l’approche européenne en matière d’aide au développement. « Cette politique a une efficacité immédiate pour une partie des populations, mais on reste dans une forme d’aide humanitaire ponctuelle. On n’est pas dans une approche structurante de développement sur le long terme parce que les mesures prises sont hypothéquées par d’autres politiques européennes, qui pèsent bien plus lourd dans la balance. »
L’Union européenne, explique notre interlocuteur, subordonne les questions de développement à ses priorités en matière de politique économique. « Cette vision transparaît clairement dans les textes de la commissaire en charge du Commerce et dans ceux liés à la Coopération. L’idée qui est partout sous-jacente est qu’il faut favoriser le commerce et le marché pour stimuler la croissance dans ces pays. Croissance qui serait elle-même un levier de développement. Or, on attend toujours les résultats. Une série de politiques ont débouché sur une augmentation de la croissance, mais c’est une croissance sans hausse de l’emploi, qui augmente les inégalités et l’insécurité alimentaire dans ces pays. Alors, évidemment, cela accentue les mouvements migratoires. »
Les accords de libre-échange et, plus spécifiquement, les accords de partenariat économique passés avec les pays du Sud sont présentés aussi comme des moteurs de développement et des leviers de coopération, poursuit encore M. Thomas. « En réalité, ils constituent plutôt des freins. Ils mettent à mal la souveraineté et la sécurité alimentaire dans ces pays. En faisant baisser les taxes, on enlève une partie des ressources de ces Etats, alors qu’on sait que cela va affaiblir leur économie et l’accès à l’alimentation parce qu’ils vont voir arriver toute une série de produits agricoles européens. On observe aussi une augmentation de la criminalisation des mouvements sociaux et des violations des droits humains dans ces pays parce que l’UE mène une politique agressive d’accès à leurs ressources naturelles. Après, on essaie de corriger ces dégâts par des actions humanitaires qui ne sont que palliatives. »