Une CENI, aveugle, sourde et muette
Il paraît que les élections doivent être libres, apaisées, transparentes, inclusives, crédibles, bref des élections respectueuses des principes et valeurs démocratiques. Les nôtres sont très loin de cette aune.
Sont-elles libres et apaisées lorsque des leaders politiques n’osent pas faire campagne de peur d’être assassinés ?
Sont-elles transparentes quand elles ne sont couvertes par aucun média burundais indépendant ?
Peuvent-elles être crédibles quand certains partenaires, comme les représentants de l’Eglise catholique, se retirent pour ne pas cautionner « un processus électoral non consensuel » ?
Et pourtant. On a la triste impression que la CENI, la Commission Electorale Nationale Indépendante est devenue aveugle, sourde et muette.
Ne parlons pas du principal candidat, Pierre Nkurunziza. Lui non plus, rien ne semble plus l’arrêter. Les conseils de ses pairs, les appels, les menaces, les suspensions des coopérations internationales, rien, il fonce toujours vers « ses » élections.
Conclusion : au moment où nous mettons sous presse, à une semaine d’un scrutin déjà une première fois différé, le discours officiel n’a pas changé : « Tout va bien ».
Tout va bien, même si Bujumbura reste le théâtre d’affrontements entre les protestataires et les forces de l’ordre.
Tout va bien, même si la contestation gagne l’intérieur du pays : Bujumbura rural, Mwaro, Bururi…
Tout va bien, même si des dizaines de milliers de nos concitoyens ont pris le chemin de l’exil, même s’il faut financer des élections organisées en catastrophe. On ponctionnera au passage les budgets de plusieurs ministères vitaux, comme celui de l’agriculture, de l’enseignement de base et de la santé…
Tout va bien. Selon M. Ntahorwamiye, le porte-parole de la CENI, les bulletins de vote seront bientôt disponibles. Mais quels bulletins au fait, avec quelles listes ? Personne ne le sait, personne ne les a encore vus, ces fameux bulletins législatifs. Devrons-nous être aveugles nous aussi ?
Tout va bien je vous jure !
Rester debout
Rester debout. Malgré tout. Malgré la peur au ventre. Les coups de feu qui trouent les nuits. Les décomptes des morts et blessés. Pour rien.
Rester debout malgré les rédactions calcinées, les confrères terrés ou en fuite. Ne pas trop penser à ce que l’on était, cette presse dynamique, pluraliste, respectée au pays et sur le continent. Cette presse qui est partie en fumée en une nuit.
Rester debout. S’efforcer de survivre, puisque c’est de la survie qu’il s’agit. Lutter contre le désespoir, l’autocensure, se forcer chaque jour de faire simplement son travail : témoigner, voir, dire. Sans toujours comprendre. Peut-on comprendre, en effet, comment un pays peut sombrer, politiquement et économiquement au vu et au su de tous ?
Enfin, pas tous. Il y en a qui affirment que tout va bien au Burundi, que même « les élections vont bien se dérouler »… Les fauteurs de trouble sont d’ailleurs juste circonscrits à « quelques quartiers de la capitale ».
A cette « minorité », terme employé sciemment avec son double sens évident, il faut envoyer quelques policiers à la gâchette facile, pour ne pas se faire voler « ubutegetsi twiherewe n’abanya gihugu (le pouvoir que le peuple nous a donné). C’est devenu un slogan.
Sauf que, c’est la seule bonne nouvelle, les Burundais ont fait un pas de géant dans la conscience politique car cette « minorité », n’en déplaise à ceux qui veulent ethniser la contestation, est multiethnique.
Assuré du vote des collines dociles et silencieuses, le régime s’obstine, minimise la contestation qualifiée de « citadine ». Mais comme l’écrivait dans Jeune Afrique, le journaliste François Soudan « en Afrique le pouvoir se gagne ou se perd dans les capitales ».