L’exploitation intensive des matières premières et des sols
Après la seconde guerre mondiale et surtout depuis l’ère néolibérale du « Consensus de Washington », l’extraction des matières premières a connu une expansion accélérée, au point que leur épuisement est à l’ordre du jour. Pour certains métaux, on parle de quelques années. Pour d’autres, et pour les sources d’énergie fossile, il s’agit de quelques décennies ; seules quelques ressources comme le charbon ont un horizon dépassant une centaine d’années.
D’où, une véritable course aux matières premières, en utilisant des techniques plus avancées, permettant un accès plus abondant aux ressources : mines à ciel ouvert pour les métaux, fracking pour le pétrole et le gaz, notamment. L’épuisement progressif des richesses minérales et fossiles amène à se tourner vers la biomasse (économie verte) pour compenser les manques prévisibles. D’où une utilisation intensive des sols, qui se traduit par une reconcentration des terres et par leur accaparement sous diverses formes par les entreprises multinationales ou les Etats.
Tout cela entraine une série de dommages à l’environnement et de conséquences sociales, considérés comme des « externalités » par le système économique, parce qu’ils n’entrent pas dans le calcul du marché : ce n’est pas le capital qui en paie les conséquences, sinon la planète, les groupes sociaux ou les individus. C’est seulement quand ils affectent les profits du capital que l’on commence à les prendre en considérations.
Parmi les utilisations industrielles récentes des terres, il y a la nourriture pour bétail (soja en particulier) et les agro-carburants (canne à sucre, palme, jatropha). Détruisant les forêts, la biodiversité, les sols, les écosystèmes, grands utilisateurs de produits chimiques comme engrais ou pesticides, polluant les eaux de surface et souterraines, éliminant l’agriculture familiale et provoquant de nombreuses pathologies parmi les travailleurs et les populations, ces cultures sont monopolisées par de grands groupes de l’agro-industrie, soit propriétaires terriens, soit entreprises transnationales.
De nombreux conflits ont éclaté avec les agriculteurs qui perdent leur travail. Les paysans sans terre se multiplient et la migration vers les villes s’amplifie, alors que des conditions sociales d’une vie digne ne sont pas réunies. D’où l’importance des mouvements paysans, qui luttent non seulement pour sauvegarder leur existence, mais aussi pour la protection du patrimoine écologique. C’est surtout dans les continents du sud que ce phénomène s’est développé au cours des récentes années. Les protestations contre les entreprises minières et pétrolières ou ce que l’on a appelé l’extractivisme, traverse tout le continent américain, du Canada à la Patagonie argentine. Les paysans colombiens, toutes couches sociales réunies, ont fait une grève de 4 jours en août 2013. Aux Philippines, 17 organisations ont constitué un front commun contre l’expansion des mines.
Les peuples autochtones sont particulièrement concernés par le problème. Partout, ils protestent contre l’expropriation ou contre une utilisation de leurs terres provoquant une destruction accélérée de leurs milieux d’existence, de leur histoire, de leur organisation sociale et de leur culture. Or, ils représentent plus de 250 millions de personnes dans le monde.
Face à ces résistances, tristement, la réponse des entreprises et des gouvernements, néolibéraux comme progressistes, est souvent la criminalisation par le biais de recours judiciaires. La violence directe n’est pas non plus exclue et débouche dans les trois continents du Sud, sur des massacres fréquents de paysans et de populations indigènes.
Tout cela est le résultat de deux modèles opposés du développement humain sur la planète. Le premier est construit sur une vue à court terme prônant l’augmentation de la productivité agricole pour répondre à une population mondiale en expansion et au changement de mode alimentaire (consommation de viande), sans tenir compte des « externalités ». Une telle vision est commandée par la logique du profit à court terme, appuyée sur une idéologie scientiste et technocrate (la science et les technologies parviendront à résoudre les problèmes). La seconde prône une vision d’ensemble de la réalité (holistique) prenant en considération tous les facteurs écologiques et sociaux et incluant le long terme. Les études agronomiques récentes, les expériences réalisées à petite ou grande échelle et même les déclarations d’un organisme comme la FAO, montrent qu’il ne s’agit pas d’une vision passéiste, ni utopique dans le sens d’une illusion, mais au contraire d’une approche concrète de la réalité. Il s’agit toutefois d’une rupture, d’une part avec le modèle capitaliste de développement qui mesure tout à l’échelle du profit et de l’autre, avec la vision d’un progrès linéaire sur une planète inépuisable.
Le printemps arabe
Un autre pôle de résistance majeur à l’heure actuelle est celui des mouvements populaires arabes qu’on observe depuis 2011 dans plusieurs pays, de la Tunisie au Yémen en passant par l’Égypte et la Syrie. S’ils n’étaient pas attendus par l’opinion mondiale, de nombreux analystes du monde arabe s’attendaient à l’explosion de tels mouvements, qui sont le résultat de deux facteurs principaux ayant déjà provoqué des effets semblables dans d’autres parties du monde.
Ces divers pays, dont certains avaient adopté des orientations socialistes de redistribution du revenu national, sont passés au néolibéralisme au cours des années 1980 et 1990, sous l’égide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Un appauvrissement des populations, surtout dans les campagnes, et une augmentation des inégalités sociales en ont résulté. Puis, comme tous ces États étaient gouvernés par des régimes politiques autoritaires, se joignit à l’insécurité économique un désir de liberté civique. La conjonction de ces deux facteurs a fourni la base des révoltes que l’on a appelées le « printemps arabe ». Dans une grande mesure, il s’est agi de réactions similaires à celles des peuples de pays d’Amérique latine, des Philippines ou d’Indonésie confrontés à ces problèmes. Mais contrairement à l’Amérique latine, cela n’a pas débouché sur des gouvernements post-néolibéraux. La phase néolibérale du capitalisme n’a guère été remise en question. Les nouveaux régimes se sont plutôt alignés sur un changement de leadership politique.
Le facteur religieux a joué un rôle dans cette évolution. Les Frères musulmans, ayant développé des actions sociales assistantielles auprès des plus pauvres, surtout ruraux, ont gagné de l’influence politique au point d’assumer le pouvoir en Tunisie et en Égypte, après la Turquie. Créés à la fin des années 1920 en Égypte, proches des mouvements fascistes européens dans les années 1930, ils prônent un islam dit modéré, mais partisan de la charia. En même temps, les mouvements islamistes radicaux, liés ou non à Al-Qaïda, partisans d’un rétablissement des califats musulmans anciens, ont trouvé un terrain d’action favorable et ont amplifié leurs actions violentes, de l’Irak à la Tunisie en passant par la Syrie, la Somalie et le Mali.
L’évolution de ce « printemps » n’est pas compréhensible sans le recours à l’histoire du colonialisme occidental, qui favorisa les courants islamistes contre le nationalisme arabe, considéré comme le véritable danger pour ses intérêts. Elle ne l’est pas non plus sans considérer les intérêts pétroliers européens et étatsuniens qui provoquèrent les guerres en Irak et en Afghanistan et les interventions directes ou indirectes faites en Libye et en Syrie.
S’il s’agit donc pour l’instant de révolutions « partielles », qui remettent peu en question le modèle économique dominant, la conscience qu’ont une partie des mouvements arabes de l’importance de cette remise en question pourrait faire évoluer leur action vers des objectifs à plus long terme tendant vers une réelle émancipation.
La révolte des jeunes de classes moyennes urbaines
De l’Espagne aux Etats-Unis, en passant récemment par le Brésil, les « indignés » se sont mobilisés. Ils protestaient contre le manque de travail, l’accès inégal à la consommation, les services publics détériorés, tous des effets du néolibéralisme. On a parfois attribué à l’utilisation des moyens modernes de communication le succès de leur action, mais c’est confondre les moyens avec les causes. Ils prônent plus de démocratie, mais avec une certaine absence d’analyse des sociétés et de projets politiques, ce qui leur donne plus une allure de révolte que de mouvement. Ils représentent cependant une réaction éthique indispensable à l’élaboration d’un nouveau paradigme postcapitaliste.