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Expansion du tourisme mondial et alternatives éthiques

Le tourisme est devenu le secteur d’activité le plus dynamique au monde en termes de croissance. Les flux de voyageurs sont en constante augmentation. Mais leur répartition reste largement inégale. Ils proviennent essentiellement d’Europe et d’Amérique du Nord, et dans une moindre mesure d’Asie, pour y rester ! Ces mêmes régions concentrent en effet la grande majorité des « arrivées » et des recettes. Maîtres des flux, les transnationales de l’industrie du tourisme rapatrient l’essentiel des devises que celui-ci génère de plus en plus dans les pays de destination du Sud. Dans ces régions, les effets négatifs du développement touristique sont multiples : déplacements de populations, travail forcé ou sous-payé, marchandisation des cultures, augmentation des prix, exclusivité donnée aux touristes dans l’accès à divers services, tourisme sexuel… Les alternatives au modèle dominant visant à modifier les pratiques des différents intervenants du secteur sont-elles en mesure de renverser la tendance ? Durables, équitables, responsables ou éthiques, ces initiatives ne sont pas non plus à l’abri de dérives diverses et le rapport inégal entre « visiteurs » et « visités » reste prégnant.

Etat des lieux du tourisme mondial

Croissance constante

Lorsqu’on étudie le tourisme, il faut garder constamment présent à l’esprit qu’il s’agit d’un secteur mal connu, mal appréhendé et que les chiffres non seulement manquent de précision mais revêtent de grandes disparités d’un pays à l’autre, et même d’une région à l’autre. Les agrégats n’ont pas la même valeur ni la même signification. Dans certains pays, le tourisme est comptabilisé sous le poste « transport », dans d’autres, les chiffres sont erronés, volontairement ou non. Les chiffres sont parfois gonflés artificiellement ou non, notamment par l’apport des flux des résidents à l’étranger. D’autre part, aucun pays ne comptabilise la grande quantité de facteurs connexes pourtant générés par le tourisme (les comptes « satellites » du tourisme).

Le tourisme est devenu le secteur d’activité le plus dynamique au monde en termes de croissance : 10,7 % en 2004 et une moyenne de 4,3 % par an durant la décennie 1989-1999 ce qui le place devant les secteurs pétrolier et automobile. Les arrivées de touristes dans le monde sont passées de 426,5 millions en 1989 à 765 millions en 2004. Pendant ce temps, les recettes ont triplé : de 221,3 milliards de dollars en 1989 à 623 milliards en 2004. Y compris durant les années de crise entre 1991 et 1995, le tourisme a toujours maintenu une croissance positive et parfois très impressionnante lorsqu’on évalue les recettes (+ 13,52 % en 1992, + 14,44 % en 1995 et + 9,1 % en 2004). Une étude prospective de l’OMT prévoit 1,5 milliard de touristes à l’horizon 2020.

C’est là le tout premier constat du secteur : les flux de voyageurs dans le monde ne tarissent pas. Même en 1991, année noire du tourisme en raison de la Guerre du Golfe, la croissance reste positive quoique ralentie. Aujourd’hui, rien ne semble plus devoir freiner la progression de ce gigantesque secteur de l’économie mondiale. La Guerre du Kosovo, les événements politiques en Turquie en 1999 ou le tsunami en 2004 n’auront pas eu le dixième des répercussions qu’avait déclenché en son temps l’opération « Tempête du désert » en Irak.

Bien entendu, les Turcs, les Yougoslaves et les Thaïlandais ne l’entendent pas ainsi car pour eux la saison, voire dans certains cas le secteur tout entier, est ruiné. Mais pour l’économie mondiale du tourisme, cela passe presque inaperçu car les flux se reportent immédiatement sur d’autres destinations plus hospitalières, moins dangereuses et elles sont plus nombreuses chaque année.

Cependant, pour la première fois, en 2001, la croissance du tourisme mondial est négative à -1,3 %, suite aux attentats du 11 septembre mais aussi à une récession généralisée amorcée dès le début de l’année. Récemment, les observateurs économiques s’interrogent également sur les prévisions de l’OMT, car la situation de pénurie des énergies fossiles que nous allons connaître inéluctablement ne permettra plus de voyager sur toute la planète en avion aux prix en vigueur ces 30 dernières années.

Répartition inégale des flux

Le deuxième constat de ce secteur, c’est que l’offre touristique s’est considérablement étoffée face à une demande qui, nous l’avons vue, ne cesse de croître. Au niveau national, les pays développent quantitativement leur offre en multipliant les lieux de villégiature et les régions à visiter ; au niveau international, les Etats ouverts au tourisme sont de plus en plus nombreux, tandis que les barrières policières et douanières sont toujours moins hautes. La figure 1 indique que c’est surtout l’Europe (avec 54,5 % de part de marché en 2004 contre 60 % en 1970) et l’Amérique du Nord (avec 16,5 % de part de marché en 2004 contre 19 % en 1970) qui bénéficient des arrivées mais aussi des recettes du tourisme mondial.

Toutefois, l’Asie, dont l’arrivée sur la scène internationale du tourisme est plus récente, a augmenté considérablement sa part au détriment des deux géants, passant de 6,1 % en 1970 à 20 % en 2004. Sa croissance importante s’explique par l’ouverture au tourisme de nombreux pays auparavant fermés aux visiteurs étrangers ainsi que par un grand dynamisme économique. La crise asiatique a cependant mis un frein à cette croissance à deux chiffres entre 1996 et 2000.

En dehors de ces 3 grandes zones réceptrices mais aussi émettrices : Europe, Amérique du Nord et dans une moindre mesure Asie, des zones de plus faible importance tentent de s’octroyer une part de ce secteur attrayant, comme c’est le cas du sud du bassin méditerranéen. L’Afrique reste malheureusement un continent à l’écart des grands flux, à l’exception de l’Afrique du Sud qui, depuis la fin de l’apartheid, a connu une augmentation impressionnante des arrivées de touristes. Il en va de même pour certains pays d’Amérique centrale et du Sud dont les difficultés politiques et économiques les empêchent de se consacrer au tourisme (Guatemala, Pérou, Colombie, Argentine...). En 2004, la part des arrivées de touristes internationaux en Amérique centrale et du Sud représente 5,3 %, celle du Moyen Orient 4,6 % et celle de l’Afrique seulement 4,4 %.

Retombées économiques inégales

Le tourisme est un formidable outil de développement économique : pourvoyeur de devises, créateur d’emplois, générateur de revenus. Il permet aux pays ayant peu ou pas de ressources agricoles, minières ou industrielles, de se développer à partir de richesses naturelles ou patrimoniales, richesses subjectives faisant l’objet d’une « mise en valeur touristique ». Cependant, c’est aussi de façon paradoxale, un secteur qui peut engendrer des effets néfastes pour l’économie des pays concernés.
Tout d’abord, le secteur touristique engendre de grandes inégalités au niveau international : l’Europe, l’Amérique du Nord et dans une moindre mesure l’Asie se partagent 92 % des flux et 95 % des recettes. L’Afrique, l’Asie du Sud, l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient restent à l’écart des flux. Dans ces pays, le développement du tourisme reste marginal, faute d’infrastructures suffisantes et de qualité pour attirer les touristes. Car le développement touristique coûte cher. En conséquence, les principaux récepteurs sont aussi les principaux émetteurs de touristes et surtout les premiers bénéficiaires.

La globalisation de l’économie tend à accroître ces tendances et creuse le fossé entre pays riches et pays pauvres. L’internationalisation des échanges, par définition particulièrement dynamique dans le secteur, provoque une concentration verticale et horizontale des entreprises touristiques dans les pays émetteurs. Ces grandes compagnies regroupent la quasi totalité des métiers du tourisme et couvrent toutes les gammes. Elles imposent leurs conditions draconiennes dans les pays récepteurs. Maîtres du marché et des flux, elles sont aussi maîtres des destinations car les Etats des pays récepteurs n’ont d’autre choix que de faire appel à elles pour assurer le développement du secteur touristique.
Hôtellerie, transports terrestres, logistique, restauration, loisirs sont couverts par les multinationales occidentales qui maîtrisent également en amont la distribution, la production et l’acheminement aérien. On observe peu de transferts de technologie et au contraire une dépendance accrue aux biens et aux services en provenance des pays industrialisés. Le revenu des activités touristiques retourne en grande partie vers les pays riches et échappent aux populations locales.

En synthèse, les principaux effets néfastes du tourisme sur l’économie des pays du Sud sont de trois ordres : - fuites de devises et de revenus, dues notamment aux importations de biens de consommation, d’équipement, de services et de technologie auprès des pays industrialisés, à la présence de capitaux étrangers, à l’importation de main-d’œuvre étrangère qualifiée, aux coûts de promotion et de commercialisation à l’étranger ; - faible retour du revenu touristique dans le pays d’accueil : suivant les formes de tourisme, on estime que seuls 10 % (croisières et tourisme « all inclusive ») à 40 % (tourisme individuel) du chiffre d’affaires généré par le tourisme revient dans les pays visités ; - instabilité internationale des flux et des recettes touristiques : les variations conjoncturelles climatiques ou politiques influent lourdement sur les choix des touristes et par voie de conséquence sur l’économie des pays concernés. Le choix immense de destinations touristiques permet aux touristes de se reporter constamment et sans difficulté sur des destinations offrant des caractéristiques similaires.

Dérives et impact sur les populations des pays visités

Au-delà de la croissance des flux, de leur inégale répartition et de la concentration des bénéfices, les effets potentiellement négatifs du tourisme sur les populations des pays visités sont multiples. Les plus problématiques renvoient aux impacts sociaux et culturels de l’expansion du tourisme : déplacements de populations pour la construction d’infrastructures touristiques ou l’accès à des « aires protégées » commercialisées, travail forcé ou sous-payé pour certaines catégories de la population non protégées socialement, instrumentalisation, folklorisation et marchandisation des us et coutumes indigènes, perturbation des modes de vie locaux, augmentation généralisée des prix, priorité ou exclusivité donnée aux touristes dans l’accès à divers espaces ou services, etc. Mais l’exemple le plus fort de l’impact négatif que peut avoir le tourisme sur une population réceptrice réside dans le développement de l’exploitation sexuelle et en particulier de la prostitution enfantine.

Le tourisme occidental et spécialement d’Europe ou d’Amérique du Nord n’est effectivement pas sans lien avec l’expansion de ce fléau qui ravage des pays comme la Thaïlande, le Vietnam, le Brésil, l’Inde, les Philippines ou certains pays d’Afrique. Les enfants sont victimes d’enlèvements ou sont achetés à leurs familles, puis sont séquestrés dans des maisons closes pour être vendus aux touristes occidentaux dont la conscience est en vacances pour quelques temps. En Thaïlande, cette énorme activité illégale - qui n’existe que parce que le gouvernement ferme les yeux - est « blanchie » à travers des placements immobiliers, des transactions boursières et l’industrie du divertissement. Les recherches ont pu identifier 20 à 30 membres du parlement compromis dans ce trafic, en participant directement, en protégeant, en finançant et en aidant ces activités. Même s’il reste difficile d’avancer des chiffres précis, les chercheurs estiment que 10 à 20 % des prostitués sont mineurs.

Bien entendu, ces crimes n’existeraient pas s’il n’y avait pas de « clients » et d’intermédiaires, en l’occurrence des tours-opérateurs peu scrupuleux. Le cas de l’Asie est préoccupant car des voyagistes, qui font de cette activité leur fonds de commerce, ont développé une offre spécifique et proposent des forfaits dans lesquels cette forme de tourisme est implicitement incluse. Toutefois aucune région du monde sous-développé n’échappe vraiment à ce fléau, condamnant des enfants à peine pubères au sida et à une déchéance physique et morale complète.
A
u Brésil, dans l’Etat du Nordeste, la prostitution enfantine a pris une telle ampleur qu’une commission parlementaire d’enquête a été créée. Aujourd’hui c’est le cas de Marrakech qui inquiète les observateurs internationaux. Parfois complices, souvent dépassées, les autorités des pays concernés laissent parfois faire en fermant les yeux, au vu des devises que rapporte cette forme de tourisme. Une récente loi adoptée dans plusieurs pays européens permet désormais de poursuivre dans leur pays d’origine les nationaux coupables de délits et de crimes pédophiles commis dans des pays étrangers. Mais jusqu’à présent cette loi n’a pas permis de condamner plus de 3 ou 4 personnes dans toute l’Europe !

En Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, des hommes et des femmes se prostituent auprès des touristes occidentaux dans l’espoir d’améliorer leur revenu ou simplement de survivre. L’ONG Info Birmanie cite le cas de femmes birmanes employées dans les bordels thaïlandais où elles sont bâillonnées, surveillées, cloîtrées dans des conditions de vie inhumaines. Certaines sont très jeunes (12 ou 14 ans) et se retrouvent parfois enceintes, condamnées à avorter clandestinement. On estime à 80 % le nombre d’entre elles touchées par le sida. Elles sont peu concernées par les campagnes de prévention qui se font en langue thaïlandaise ou occidentale et visent plus les clients que les prostituées.

Parallèlement, il existe aussi une prostitution « volontaire » directement liée à la misère ou à des conditions de vie très difficiles. Au Maroc mais aussi en Egypte, bien qu’il n’y ait aucune statistique officielle ni officieuse, il y a un phénomène de prostitution lié à l’afflux de touristes du Moyen-Orient, venus chercher dans ces pays, des plaisirs (cabaret, alcool, prostitution) interdits dans leurs pays respectifs. On peut également citer les Caraïbes, notamment le cas de la République dominicaine ou celui de Cuba où sévit un véritable tourisme sexuel « volontaire » pour les nombreux occidentaux venus chercher au soleil la compagnie de locaux consentants.

Atteintes diverses à l’environnement

L’aspect écologique et environnemental est plus médiatisé et a davantage les faveurs du public que les questions sociales. Il est bien connu que le tourisme cause de grands dégâts sur l’environnement naturel et malgré la sensibilité du public à cette cause, ces impacts négatifs sont toujours à déplorer. En cause : tantôt la localisation des infrastructures et les flux plus ou moins massifs tantôt la nature des activités de détente ou encore le comportement des touristes généralement d’autant moins respectueux de l’environnement qu’ils sont loin de chez eux ou en visite dans des espaces moins régulés. Les effets s’en font davantage ressentir dans les écosystèmes à la fois les plus vulnérables et les plus attrayants : marais, dunes, montagnes, mangroves, récifs coralliens, etc.

Le cas particulier du golf mérite que l’on s’y attarde. Pour ce « sport d’élite », réservé à l’usage privatif de quelques privilégiés nationaux ou des touristes étrangers, des centaines d’hectares sont aménagés à grand frais, en déplaçant au besoin cultures vivrières et populations. Au Maroc, pays souffrant de sécheresse chronique, on dénombre plus de vingt terrains de golf. Or il faut environ 6 500 m3 d’eau par jour pour arroser un terrain de golf de 18 trous. En outre, le terrain est saturé de pesticides pour protéger le gazon. Voilà donc l’exemple d’un « sport vert » qui se pratique au détriment de l’environnement et des populations locales.

Inquiétantes également sont les dégradations occasionnées, volontairement (pillage) ou involontairement (importance des flux, climatisation, pollution…), au patrimoine matériel historique et souvent dans les pays n’ayant pas les moyens d’en organiser une protection correcte. C’est le cas entre autres du temple d’Angkor au Cambodge. Ce monument inscrit au patrimoine de l’humanité en 1992, qui a subi d’importants dommages durant la guerre, fait aussi l’objet de pillages lié au tourisme. L’Egypte doit également faire face aux vols de trésors archéologiques dans la vallée des Rois, qui font l’objet d’un véritable trafic. La Turquie, qui regorge de richesses anciennes, est aussi dans l’impossibilité de surveiller les nombreux sites à ciel ouvert dont les ruines sont convoitées par les touristes.

En proie à de graves difficultés sociales et économiques liées notamment au seul remboursement des intérêts de leur dette extérieure, les pays du Sud sont rarement en position de donner priorité à la protection de l’environnement, qui demeure souvent considérée comme un luxe de pays riches. Le « décor naturel » des sites touristiques est dès lors plus régulièrement l’objet de transactions financières entre autorités locales et investisseurs transnationaux que l’enjeu de mobilisations et de réglementations visant à en garantir la durabilité.

Alternatives au modèle de tourisme dominant

Depuis plus de 30 ans, des associations d’abord religieuses – mobilisées sur le constat du tourisme sexuel impliquant des enfants – puis de tous horizons (écologistes, humanitaires, spécialistes du développement, etc.) se mobilisent pour expliquer et démontrer les méfaits du tourisme, de son expansion et de sa massification, et pour promouvoir des solutions durables et un développement raisonné de l’activité touristique, notamment dans les pays les plus pauvres et les pays qui veulent se lancer nouvellement dans le tourisme.

De nombreux concepts et appellations sont apparus : le « tourisme durable » consacré par l’Organisation mondiale du tourisme, dans la foulée du Sommet de la Terre de Rio ; le « tourisme intégré » visant à favoriser le partage par les touristes des conditions de vie des populations locales ; l’« écotourisme » qui privilégie les espaces naturels et entend les respecter ; le « tourisme communautaire » initié et mis en œuvre par et pour les populations locales ; le « tourisme responsable » qui engage tous ses acteurs, des voyagistes jusqu’aux touristes, à se soucier de l’impact de leurs comportements ; le « tourisme solidaire » qui mobilise le touriste dans le développement local des endroits visités ; le « tourisme équitable » qui entend appliquer au tourisme les critères du commerce équitable, pour des échanges plus justes et satisfaisants pour les parties en présence.

Modifier les pratiques des différents intervenants

L’extrême complexité du secteur touristique et la multitude de ses intervenants rendent difficile toute « réforme » du secteur. Activité de services souvent immatériels, impalpables, impossibles à échantillonner et dont la principale caractéristique est d’être produits au moment même de leur consommation, le tourisme repose sur une forte implication du consommateur dans la production, par ses déplacements, ses choix… Les populations locales et le cadre (naturel, patrimonial, culturel, etc.) représentent un élément essentiel du produit touristique, sans pour autant être systématiquement valorisés comme le sont les différents intervenants en amont et en aval de celui-ci : le tour-opérateur, l’agence de voyages, le transporteur aérien, l’agence réceptrice, l’hôtel, l’autocariste, l’agent d’accueil, le guide, le restaurateur, etc.

Les possibilités d’avancées d’une approche éthique du tourisme dans l’actuel système tel qu’il est conçu et commercialisé dépendront de la capacité des différents acteurs, concernés de près ou de loin par le tourisme, à adapter leurs pratiques ou à influer sur celles du secteur. Diverses recommandations peuvent être émises, qui permettraient d’améliorer la situation et de se diriger vers un tourisme plus respectueux des pays visités, de leurs populations, de leur culture, de leur environnement et aussi… des touristes. Le fait que les touristes soient très impliqués dans la production même du produit touristique - puisque le plus souvent celui-ci est consommé par le touriste sur place, au moment même de sa production - complique singulièrement la démarche, notamment en matière de labellisation.

Lorsqu’elles ne l’ont pas déjà fait, les organisations internationales comme l’ONU, l’Unesco, l’Organisation mondiale du tourisme, l’Organisation internationale du travail… devraient être amenées à inscrire dans leurs textes des références explicites à un développement durable du tourisme et à sa mise en œuvre par les Etats signataires, à charge pour eux de retranscrire les directives et déclarations dans leur législation respective.

Pour ce faire, un important travail de lobbying doit être assuré par les associations, mouvements et ONG actifs dans ce secteur. Le Tourism European Network, par son action de plaidoyer, est ainsi parvenu à introduire certains amendements dans le Code mondial d’éthique du tourisme adopté par l’OMT en 1999.

Par définition, les tour-opérateurs, les hôteliers et l’industrie du tourisme n’ont pas d’intérêt direct dans la réforme du modèle de tourisme dominant ni de priorités humanitaires ou éthiques. Il n’y a que lorsque celles-ci peuvent coïncider avec leurs intérêts, que les pratiques ou le marché s’adaptent. Les premiers à l’avoir compris sont les petits tour-opérateurs d’aventure, en quête de « produits authentiques », de territoires vierges de toute pénétration touristique, qui deviennent alors eux-mêmes les promoteurs de « chartes éthiques du voyageur ».

Mais il est vrai que les multinationales de l’hôtellerie et du tourisme ne sont pas en reste. Il n’est qu’à voir les rapports environnementaux ou les rapports « développement durable » des entreprises telles que TUI en Allemagne, Hotelplan en Suisse, Accor en France ou Thomas Cook en Grande-Bretagne, ainsi que leurs nombreuses déclarations en matière de protection de l’environnement pour constater le pas qui a été fait dans ce domaine. On peut même relever des actions en direction des populations locales ou des actions de type humanitaire (partenariat de Thomas Cook avec Care International par exemple). Bien entendu les déclarations d’intention ne sont pas toujours suivies d’effets concrets et il y a loin parfois du discours à la réalité.

On ne peut laisser de côté le problème de la formation des futurs professionnels du tourisme. En France par exemple, le gros des bataillons d’agents de voyage et de voyagistes est formé dans les BTS (Brevet de technicien supérieur) de tourisme. Or ces formations ne sensibilisent à l’heure actuelle nullement les élèves au respect des populations et de l’environnement des destinations d’accueil, ni à leurs responsabilités en tant que futurs professionnels du tourisme vis-à-vis de leurs clients. A part un programme d’information sur la prostitution enfantine liée au tourisme, développé en partenariat avec l’association ECPAT, rien n’a été fait dans ce domaine. Tout repose sur la bonne volonté des enseignants, ce qui est insuffisant et laisse des centaines d’étudiants sans aucune ligne de conduite par rapport à ces problématiques.

La responsabilité des Etats et des autorités locales dans les pays d’accueil est aussi engagée dans le développement d’un tourisme durable et plus respectueux des populations. Celui-ci est directement lié au caractère plus ou moins démocratique du pays concerné, mais aussi, surtout, à l’attrait que représentent pour des Etats pauvres les investissements des multinationales du secteur. Rares sont ceux qui dès lors s’engagent dans le développement de pratiques alternatives en matière de tourisme, tant leur coût de mise en œuvre et leur rentabilité paraissent respectivement démesuré et aléatoire.

Les touristes constituent enfin un public cible particulièrement important pour les associations soucieuses de rendre le tourisme plus responsable et équitable. En tant que consommateurs et responsables de choix en cascade au moment de consommer leurs vacances, les touristes détiennent un pouvoir d’influence considérable sur le secteur. Un travail citoyen d’information de fond est donc à réaliser auprès de ce public, en dehors des moments de « vacance », visant non pas la culpabilisation mais bien la responsabilisation et la sensibilisation aux effets directs et indirects sur les pays de destination de leurs choix, aux gagnants et aux perdants du système.

De multiples initiatives, souvent locales, aux résultats significatifs ont déjà vu le jour. En la matière, la coopération décentralisée entre certaines villes, régions ou universités de pays du Nord et du Sud sur des actions concrètes et bien définies dans le temps a fait ses preuves. La mobilisation des collectivités locales et de leurs populations garantit la pérennité des projets d’échange touristique et l’efficacité de la relation.

La labellisation (de type « équitable » comme les produits du commerce équitable) est également en marche. Elle permet d’offrir au consommateur des repères utiles pour faire son choix. Si l’organisme FTTSA (Fair Trade in South Africa) est un pionnier mondial en la matière, l’initiative TO DO du Studienkreis für Tourismus und Entwicklung en Allemagne a permis de récompenser des projets de tourisme socialement responsable dans les pays d’accueil. En France, l’UNAT (Union nationale des associations de tourisme et de plein air – leader du tourisme social) a créé une association pour la commercialisation des produits de tourisme équitable et solidaire. On voit également fleurir de nombreuses éditions de guides de tourisme alternatif ou des sites internet qui répertorient les offres de tourisme communautaire, équitable ou solidaire et permettent au consommateur de s’y retrouver dans une offre souvent peu visible et rarement vendue par les agences de voyage classiques.

Limites des initiatives alternatives

Pour autant, l’ensemble de ces initiatives, dans toute leur dispersion, ne constitue pas la panacée. Au sein même de ces ébauches d’alternatives, le plus souvent locales ou de petite taille, les risques de dérives sont nombreux et certains les ont déjà expérimentées. Dans le domaine du développement durable, le principal écueil est l’absence d’implication des populations locales dans le développement du tourisme. Souvent, des personnes ou des associations du Nord œuvrant dans le domaine de la solidarité internationale ou de l’humanitaire s’entichent d’une région ou d’un village et décident de « le développer » sans réelle prise en compte des besoins ou des souhaits de la population locale.

Des associations de migrants en Europe cherchent également à soutenir leur région ou leur village d’origine, parfois au détriment de la région ou du village voisin, engendrant ainsi d’importantes frustrations et rivalités locales. D’où l’importance de l’implication des populations et de leurs représentants locaux, régionaux ou nationaux, pour que ces différents efforts s’inscrivent dans une politique globale et cohérente à l’échelle des régions considérées. Un plan global de développement durable est préférable à un simple projet de développement touristique, trop souvent éphémère ou aléatoire. Les populations locales assistées, les autorités locales bafouées : cela ne conduit jamais à un développement durable de la zone considérée.

L’autolabellisation et l’absence de contrôle externe et indépendant de ces brevets autodécernés constituent une autre limite des initiatives alternatives évoquées, tant pour les entreprises et les tour-opérateurs que pour les associations, qui développent cette stratégie. Lorsqu’on travaille sur des notions éthiques, on doit bien évidemment se les appliquer à soi-même. Le choix des critères de labellisation et les contrôles qui en découlent ne sauraient reposer sur la seule responsabilité des certifiés eux-mêmes. Il est indispensable de mettre en place un organisme externe, indépendant et autonome qui puisse garantir en toute transparence, au consommateur touriste, que les produits labellisés répondent aux critères avancés.

La notion de « tourisme équitable » est complexe et ne répond déjà que partiellement aux problèmes soulevés par le tourisme classique, alors n’y ajoutons pas le manque de rigueur ou l’approximation dans la labellisation. Les utilisations abusives et purement « marketing » des concepts sont en effet monnaie courante. Un seul exemple pour en prendre la mesure : cette déclaration de la directrice de la communication du Club Med au Salon mondial du tourisme à Paris 2001, prétendant que son entreprise faisait du tourisme durable depuis toujours. Et d’argumenter que puisque la démarche touristique du Club Med se faisait en vase clos, elle ne pouvait avoir d’impact négatif sur les populations locales !

Conclusion

Le touriste d’un pays riche qui va passer ses vacances dans un pays pauvre, c’est d’avance l’histoire d’une rencontre décalée génératrice de tensions objectives. Nous constatons déjà chez nous, dans nos riches et démocratiques pays européens, à quel point les touristes peuvent être mal perçus car trop intrusifs, générateurs d’inflation dans les zones les plus touristiques, agaçants car peu respectueux des habitudes locales, etc. Le tourisme alternatif, responsable, équitable et « plein de bonne volonté » parvient rarement à déroger à la règle pour les populations des pays récepteurs. La réalité têtue du rapport disproportionné entre « visiteurs » et « visités » et celle, plus globale, du déséquilibre entre promoteurs du tourisme, classique ou alternatif, et populations locales s’imposent le plus souvent. Les alternatives réelles se situent, tant à l’échelle politique que dans la démarche individuelle, dans l’atténuation des effets négatifs du tourisme et la maximisation de ses effets positifs… sociaux, culturels et économiques. La lucidité sur cet enjeu est déjà un pas en avant.

Expansion du tourisme : gagnants et perdants

Cet article a été publié dans notre publication trimestrielle Alternatives Sud

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