in La Libre Belgique - 8 février 2012
En validant la candidature contestable de l’actuel président sénégalais, Abdoulaye Wade, à sa propre succession, le Conseil constitutionnel a provoqué la colère de la rue. À travers tout le pays, aux côtés des partis de l’opposition et de leurs candidats, aux côtés de Youssou Ndour exclu de la course, aux côtés des membres du M23 et bien sûr aux côtés des Esprits du mouvement « Y en a marre », aux côtés enfin de l’écrasante majorité des représentants de la société civile sénégalaise, des milliers de personnes ont exprimé leur détermination à « ne pas se laisser voler leur élection présidentielle ».
Cette mobilisation citoyenne témoigne de l’incroyable vitalité de la société sénégalaise et en particulier de ses femmes et de ses jeunes dont l’action et l’engagement nous inspirent quotidiennement respect et admiration. Elle témoigne aussi de la rage de millions de personnes confrontées à des conditions de vie inacceptables sur le plan de la santé, de l’alimentation, de l’éducation, de l’emploi, du logement etc. etc. Durement réprimée, elle témoigne enfin de la tension extrême qui règne aujourd’hui dans le pays.
Nul ne sait où mènera le bras de fer engagé entre la rue et le président-candidat Abdoulaye Wade. Nul ne sait si l’attention de la population continuera de se focaliser contre cette candidature ou si elle mettra toute son énergie à se mobiliser massivement pour l’un des 13 autres candidats. Sauf événement tout à fait exceptionnel, nous savons seulement aujourd’hui que le 26 février prochain, la population s’exprimera par les urnes. Autant que son résultat, ce sont les conditions dans lesquelles se sera déroulé le scrutin qui détermineront la suite.
Dans ce contexte, à la demande du Sénégal, l’Union européenne a installé une mission indépendante d’observation des élections dirigée par l’eurodéputé Thijs Berman et qui produira un rapport préliminaire, au lendemain du premier tour (et du second, le cas échéant) et un rapport complet, après les élections. De leur côté, les membres du mouvement « Y en a marre » ont prévenu qu’ils seraient présents dans chacun des bureaux de vote du pays pour veiller à leur bon déroulement.
La pré-campagne a déjà fait trois morts et de nombreux blessés. Nos amis et collègues sur place jugent la situation sur le terrain de plus en plus préoccupante. La communauté internationale et en particulier l’Union européenne, engluée dans l’agenda que lui dicte la crise, observe la situation avec perplexité et la commente avec la plus grande prudence. En attendant, tous les efforts entrepris par la société civile, parfois avec notre aide, en faveur du développement du Sénégal et de l’amélioration des conditions de vie de la population menacent d’être foulés aux pieds au mépris de l’intérêt général et du respect des droits les plus fondamentaux.
Au nom de la relation qui lie le Sénégal à la Belgique et à l’Union européenne, au nom de la relation qui lie chacun d’entre nous et des structures que nous représentons ou au sein desquelles nous militons, au nom des projets de développement et de défense des droits de l’homme que nous menons en collaboration avec la société civile sénégalaise, Nous, Acteurs de la société civile européenne, présents au Forum social 2011 à Dakar :
Exprimons notre vive inquiétude quant à l’évolution de la situation au Sénégal et assurons la population sénégalaise de notre soutien dans les moments difficiles qu’elle traverse et de notre détermination à continuer de collaborer avec elle dans la poursuite des actions de développement du Sénégal ainsi que de promotion et de défense des droits de l’homme ;
Demandons solennellement aux autorités sénégalaises et au chef de l’État de ne rien faire qui mettrait en péril la vie des citoyens sénégalais et de faire preuve de responsabilité en prenant dès aujourd’hui toute mesure respectueuse des droits de l’homme susceptible de mener à un apaisement durable de la situation et de conduire à la tenue d’élections libres, démocratiques et transparentes ;
Demandons à la Belgique et à l’Union européenne d’assurer par tous les moyens qui sont à sa disposition la tenue de telles élections ainsi que, le cas échéant, de condamner toute violation des droits de l’Homme qui pourrait être commise au Sénégal dans les jours prochains et d’en tirer les conséquences éventuelles, dans le respect du droit et des intérêts de la population sénégalaise.