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Congo : la stabilité politique au mépris de la jeunesse mobilisée ?

Négociations de la dernière chance. A l’approche de la fin du deuxième mandat du président Joseph Kabila, la communauté internationale fait tout pour éviter la déstabilisation politique du Congo. En poussant opposition et majorité à se parler. Ce faisant, elle pourrait faire malgré elle le jeu du clan Kabila. Et prendre à contre-pied une jeunesse mobilisée.

Résumons sans précaution diplomatique les ressorts de la situation congolaise. Depuis leur victoire douteuse aux élections de 2011, Kabila et son équipe ne cachent pas leur dessein de demeurer au pouvoir au-delà des deux mandats présidentiels prévus par la Constitution. En conservant les apparences de la légalité. La révision constitutionnelle et la modification de la législation électorale ayant provoqué une levée de bouclier, le clan a opté courant 2015 pour une stratégie simple : ne pas organiser les élections. Ou plutôt, organiser l’impossibilité pratique de tenir les élections dans les délais en arguant de difficultés financières, techniques, politiques.

Parallèlement, faire acter par la Cour constitutionnelle qu’en cas de non-élection dans les temps, Kabila reste à la barre, et organiser un « dialogue national » pour faire admettre ce « glissement » par l’opposition et la société civile, en échange de postes (dont celui de premier ministre) et d’argent. Détail important : présenter ce dialogue comme la voie responsable et pacifique de résolution de la « crise » électorale et présenter ceux qui s’y opposent par le dernier recours disponible, la manifestation de rue, comme des acteurs violents cherchant à conquérir le pouvoir par la déstabilisation des institutions. Ajouter une dose de stratégie de la tension, pour terroriser les militants et les qualifier de terroristes.

Clos le 18 octobre, le dialogue a repoussé le scrutin présidentiel au mois d’avril 2018. Il offre donc à Kabila une rallonge de seize mois. La manoeuvre est cousue de fils blancs. Mais là n’est pas sa lacune : la majorité de l’opposition, unie dans un « Rassemblement » autour du vieil opposant Tshisekedi, ne s’est pas jointe au dialogue, plombant sa légitimité. Avec des mouvements citoyens dont l’influence sur la jeunesse va grandissant, elle entend soulever la population le 19 décembre pour faire échec à ce qu’elle estime être un coup d’État constitutionnel.

Une perspective qui effraie la communauté internationale, hantée par le risque d’une déstabilisation politique du pays, voire de la région. Cette dernière renvoie aujourd’hui les protagonistes de la « crise » dos-à-dos : les uns doivent montrer une « retenue maximale » dans la gestion de la protestation, les autres doivent « montrer de la responsabilité en garantissant le caractère pacifique de leurs manifestations » (déclaration du Conseil de sécurité du 5 décembre). Surtout, toutes les parties prenantes sont invitées à trouver une « réponse consensuelle » à la crise politique. Concrètement, et face à l’inflexibilité de la majorité présidentielle, il est demandé au Rassemblement de mettre de l’eau dans son vin en acceptant que Kabila reste au pouvoir durant la transition, en échange d’un raccourcissement de cette dernière, de la promesse de ne pas réviser la Constitution et d’un nouveau partage des postes. Vu l’hyper-concentration des pouvoirs au niveau de la présidence, cela revient à laisser à Kabila les clés de la maison un an de plus.

En voulant éviter ce qu’elle considère comme le scénario du pire, la communauté internationale valide malgré elle la stratégie de l’équipe au pouvoir : s’imposer par le fait accompli et le chantage au chaos, suppléer l’absence de base légale et de consentement populaire par la menace de la force. Ce faisant, elle tourne le dos aux plus mobilisés parmi les jeunes congolais, pour lesquels le scénario du pire, c’est le maintien de Kabila au pouvoir après le 19 décembre. Car non seulement ce scénario piétine la constitution et le principe de l’alternance qui en est le coeur, mais il implique le maintien d’un inacceptable, celui de la clochardisation des jeunes, de leur soumission à un ordre arbitraire et prédateur dont Kabila est à leurs yeux la clé de voûte. Quand la communauté internationale craint une « burundisation » du Congo, eux, regardent du côté du Burkina Faso, où la population mobilisée a « dégagé » Blaise Compaoré après 27 ans de règne.

Habitée par cette intransigeance démocratique qui grandit parmi la jeunesse africaine, cette génération a un sens aigu de sa responsabilité historique. Nombre de ses représentants sont prêts au sacrifice - « même si je meurs, cela servira à ceux qui me suivent » entend-on régulièrement. Et ces jeunes ne s’alignent plus aussi docilement sur les consignes des partis d’opposition. L’obtention d’un arrangement de dernière minute reportant le départ de Kabila serait considérée comme une nouvelle trahison des élites, nationales comme internationales. Un déni de justice aux relents postcoloniaux. Accord politique ou pas, cette jeunesse sortira le 19 décembre.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.