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Congo 2014-2018 : « glissement » et recompositions de l’espace protestataire

A l’instar de nombre de ses homologues sur le continent africain, le président Joseph Kabila, en poste depuis 2001, n’a pas fait sien le principe de l’alternance, qui est pourtant au cœur de la constitution congolaise adoptée par référendum en 2005, dans la foulée de ce qu’on qualifie parfois de première guerre mondiale africaine. Trop faible politiquement pour modifier les textes, il multiplie depuis 2014 les manœuvres pour prolonger de fait une présidence officiellement terminée depuis le 31 décembre 2016 – ce que les Congolais qualifient de stratégie du « glissement » - en dépit d’une impopularité abyssale et des pressions de la communauté internationale. Quatre années durant lesquelles la rue a été régulièrement investie par la population pour signifier son opposition, malgré la brutalité policière.

Si les manifestations prennent régulièrement un tour émeutier, elles ne sont pas pour autant spontanées. Des acteurs organisés s’efforcent de susciter et de donner corps à la protestation. Le cycle de mobilisation, toujours en cours, qui nous intéresse peut être décomposé en trois sous-cycles, impulsés successivement par trois forces mobilisatrices : le premier, dominé par les partis d’opposition, court de 2014 à la fin de l’année 2016, terme officiel du deuxième et dernier mandat du président ; le deuxième voit les mouvements citoyens tenir le haut du pavé jusqu’à la fin de l’année 2017 ; enfin depuis décembre 2017, ce sont les réseaux catholiques qui servent de locomotive à la mobilisation. La compréhension des luttes politiques contre Kabila passe par l’examen des causes et circonstances de ces recompositions de l’espace protestataire congolais, elles-mêmes tributaires du mode d’inscription spécifique de chacune de ces forces – partis d’opposition, mouvements citoyens, église catholique – dans le champ politique congolais.

Délitement des mobilisations partisanes

Dans une première période donc, les mobilisations contre Kabila sont convoquées par les animateurs de l’opposition partisane, qui ont rapidement pris la mesure de la détermination du président à s’accrocher au pouvoir et exploitent le relatif pluralisme médiatique pour alerter sur le danger. La manifestation du 27 septembre 2014, puis surtout celles du 19 au 21 janvier 2015, qui rassemblent bien au-delà du milieu partisan, forcent la majorité présidentielle à revoir à deux reprises sa stratégie politique : l’idée initiale d’une révision constitutionnelle est mise de côté à l’avantage d’une modification de la loi électorale [1], moins explicite, à son tour abandonnée pour privilégier la stratégie du « glissement » – retarder indéfiniment la tenue d’élections en arguant de contraintes financières, techniques, politiques, sécuritaires. Le point culminant de la mobilisation partisane est atteint à l’été 2016, lorsqu’Etienne Tshisekedi, leader historique de la lutte contre la dictature mobutiste, fédère la majorité de l’opposition dans une méga-coalition [2] et rassemble des dizaines de milliers de Kinois pour annoncer le préavis du « locataire au palais présidentiel ».

La capacité du « Rassemblement des forces politiques et sociales » à faire descendre les gens dans la rue sera successivement entamée par le renforcement du dispositif répressif et la suspension du droit de manifester puis par sa participation au dialogue « de la dernière chance » entre pouvoir et opposition sous l’égide des évêques catholiques (la CENCO [3] ), qui débouchera sur l’accord « de la Saint-Sylvestre » avalisant le maintien du président une année supplémentaire moyennant un partage des pouvoirs entre majorité et opposition. Elle se délabrera début 2017 suite à la mort d’Étienne Tshisekedi, au débauchage de plusieurs hauts cadres de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et à la scission subséquente de ce dernier en deux ailes concurrentes, l’une participant aux institutions, l’autre les contestant. La tentative de remobiliser pour dénoncer le non-respect de l’accord et la nomination au poste de premier ministre « de l’opposition » d’un transfuge de l’UDPS, Bruno Tshibala, se soldera par un échec.

Les tribulations de l’opposition partisane s’expliquent par la fonction première de ces organisations politiques. Comme ailleurs en Afrique, loin d’être l’émanation ou le relais d’intérêts sociaux, d’identités ou d’idéologies, les partis sont les véhicules des ambitions politiques et matérielles des « entrepreneurs politiques » qui les ont fondés. Cela explique leur nombre ahurissant au Congo – un demi-millier -, tout politicien ambitieux se devant d’avoir son propre parti. En fonction de leur charisme, de leurs ressources et de leur capacité à activer les solidarités ethniques, les fondateurs agglutinent autour d’eux militants et obligés. Il va sans dire que l’accès aux positions de pouvoir n’est pas envisagé comme un moyen pour mettre en œuvre une quelconque orientation politique, mais comme une opportunité pour s’enrichir soi-même, sa famille et sa clientèle. La situation de ces partis « alimentaires » dans l’opposition n’est que rarement le reflet d’un désaccord de fond, mais résulte du fait qu’ils n’ont pas été invités à occuper des postes au sein de l’appareil d’État par la coalition dominante, ou que ces postes n’ont pas été jugés suffisamment juteux. L’alternance n’est donc pas un objectif en soi pour ces acteurs, dont la rhétorique critique à l’endroit du pouvoir vise à se voir offrir par celui-ci des situations à la mesure de leurs ambitions.

C’est à l’intérieur de cette compétition politique en trompe-l’œil qu’il faut replacer le recours des partis à la mobilisation protestataire. Quand bien même leurs dirigeants invoquent avec théâtralité les valeurs de patrie, de peuple ou de démocratie, l’organisation de manifestations contre Kabila par les partis suit un objectif prosaïque : accéder à l’État, par la porte (grâce à l’alternance) ou la fenêtre (via la cooptation). Les Congolais, qui tiennent globalement leur classe politique en piètre estime, sont bien conscients de cette duplicité, qui s’était déjà révélée dans toute sa splendeur durant les dernières années du mobutisme. [4] En dehors des noyaux militants, leur participation aux marches convoquées par les partis n’est donc pas tant synonyme d’identification ou d’adhésion, que d’utilisation pragmatique des opportunités de mobilisation fournies par cette opposition.

Nouvel activisme de la jeunesse

Une poignée d’organisations de jeunes n’ont pas suivi la courbe rentrante de l’opposition à la fin de l’année 2016. Au risque de se marginaliser vis-à-vis de la sphère politique et de la communauté internationale, qui a pesé de tout son poids pour la conclusion d’un accord majorité-opposition, ceux qui se présentent sous le label de « mouvements citoyens » ont protesté contre le dialogue animé par les évêques, maintenu l’appel à la mobilisation pour chasser Kabila le 31 décembre 2016 et pris leurs distances avec le contenu de l’accord de la Saint-Sylvestre. Cette intransigeance s’est révélée payante en termes de légitimité politique à mesure que la véritable fonction de cet accord pour Kabila – maintenir une année de plus son emprise sur les institutions – se révélait.

Durant le premier semestre de l’année 2017, le mouvement citoyen « Lucha » en particulier montre une vitalité qui tranche avec les atermoiements de l’opposition partisane. Pas une semaine sans qu’une ou plusieurs villes du pays, dans l’Est surtout, ne soit le théâtre de leurs actions. Sur des enjeux sociaux dans un premier temps, sans doute pour mieux se démarquer des affrontements partisans sans fin autour de l’interprétation des modalités de partage des postes prévus par l’accord du 31 décembre. Ensuite sur celui de l’organisation des élections dans les délais prévus par cet accord, afin de clore au plus vite la parenthèse extra-constitutionnelle ouverte par celui-ci. Bien que la plupart aient vite été étouffées, les marches que la Lucha organise simultanément dans des dizaines de villes le 31 juillet reflètent la stature nationale acquise par ce mouvement. Le fait que les forces de l’opposition appellent leurs troupes à rejoindre l’action démontre qu’à ce moment précis, la Lucha a pris l’ascendant au sein de l’espace des protestations contre Kabila.

S’ils sont généralement présentés comme « anti-Kabila », c’est le clientélisme sévissant dans l’ensemble de la classe politique qui pose problème à cette nouvelle génération de militants. L’émergence des mouvements citoyens au sein de la jeunesse est inséparable du sentiment d’être constamment instrumentalisé par les partis, de ne pas avoir de capacité d’existence politique propre et de voir ses intérêts – en matière d’accès à l’emploi en particulier – constamment bafoués par un État dominé par les plus vieux. La société civile traditionnelle ne s’en tire guère mieux à leurs yeux : la majorité de ses animateurs, installés depuis les années 1990, ont délaissé le terrain des luttes et passent l’essentiel de leur temps dans des « ateliers », quand ils ne se disputent pas les places dans les « dialogues » que le pouvoir monte à intervalle régulier pour se relégitimer. La volonté de rupture avec les pratiques politiques traditionnelles se manifeste dans le rapport distancié que les nouveaux mouvements maintiennent vis-à-vis du champ politique institutionnel, dans la quête de formes de politisation non politiciennes, tout comme dans les modalités collégiales de prise de décision et la volonté de faire primer le collectif sur les individualités.

La mobilisation sur l’espace public est centrale dans l’activisme citoyen que la Lucha prétend à la fois défendre et incarner. Le mode participatif d’élaboration des actions tranche avec le rapport vertical et instrumental que les partis entretiennent avec les manifestants. Le registre historiquement privilégié par l’organisation se rapproche du happening : des actions rodées, à forte teneur symbolique, impliquant un rôle actif, expressif, de chaque participant, protagoniste héroïque d’une pièce s’achevant systématiquement par l’entrée en scène violente de la police. La qualité plutôt que la quantité, pour un rendement médiatique impressionnant, notamment au sein de la presse internationale. Cette couverture favorable ainsi que les soutiens trouvés parmi les organisations occidentales de défense des droits de l’homme ont conféré une légitimité internationale considérable à ces jeunes organisations, qui leur permet d’être simultanément actives dans la poussière des villes congolaises et dans les enceintes où la communauté internationale décide des sanctions à appliquer au régime de Kabila.

Ce mode d’existence politique se révèle cependant moins efficace quand la Lucha sonne la mobilisation générale, révélant les limites de sa capacité d’entraînement sur la jeunesse congolaise. Ces limites s’expliquent bien sûr par le climat répressif et la prise de risque qu’implique l’adhésion à ce type de militantisme. Elles ont sans doute aussi à voir avec le déphasage revendiqué vis-à-vis des pratiques politiques dominantes. La volonté, par exemple, d’éviter l’incarnation de la structure dans une personnalité charismatique bride les processus d’identification qui sous-tendent l’adhésion populaire. Dans la même veine, le champ associatif de la jeunesse, qui préexiste bien entendu au phénomène « mouvements citoyens », se caractérise par une compétition féroce entre leaders ambitieux qui n’a rien à envier à celle du champ politique. Le succès de la Lucha a éveillé l’intérêt d’un nombre considérable d’entre eux, qui partagent plus ou moins l’agenda refondateur du mouvement, mais sont surtout fascinés par sa notoriété. Nombre de « would be » leaders préfèrent dès lors mettre en place leur propre mouvement citoyen, pour bénéficier personnellement de la reconnaissance associée à ce nouveau format, plutôt que de jouer un second rôle au sein de la Lucha.

Puissance mobilisatrice des réseaux catholiques

A quelques jours de la fin de l’année 2017, la Lucha choisit de reculer la date de sa mobilisation « pour une transition sans Kabila » afin de la faire coïncider avec les marches qu’une coordination d’intellectuels catholique [5] organise le trente-et-un décembre pour revendiquer l’application effective de l’accord de la Saint-Sylvestre et la confirmation du chef de l’État qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Cet alignement sur une manifestation politiquement plus modérée est dicté par l’écho considérable de l’appel des catholiques. Et de fait, si la plupart des cortèges sont étouffés au sortir des églises, la participation populaire à l’initiative est significative, a fortiori dans un contexte de violence policière redoublée. Malgré les nombreux morts de cette première édition et le passage des organisateurs dans la clandestinité, la deuxième marche « des chrétiens » trois semaines plus tard rassemble plus largement encore, signant la consolidation d’un canal de mobilisation du mécontentement politique dans lequel s’engouffrent l’un après l’autre les groupes contestant le « glissement » - partis d’opposition, mouvements citoyens, organisations non gouvernementales, syndicats, associations culturelles et religieuses.

Depuis les élections contestées de 2011, le positionnement de l’église catholique congolaise oscille entre critiques plus ou moins prononcées des tendances antidémocratiques du régime et maintien d’une attitude d’arbitre politique - « l’église au milieu du village » - à équidistance manifeste du pouvoir et de l’opposition. Après un moment de contestation ouverte au début du deuxième mandat de Kabila, qui se traduira notamment par une tentative avortée de marches en février 2012, les représentants de l’Église adoptent un profil plus conciliant avec le régime. Mais le projet officieux de modifier la constitution amène l’épiscopat a prendre des positions de plus en plus critiques à partir de septembre 2014, jusqu’à planifier fin 2015 une marche « dans l’esprit de l’article 64 » [6] . Mais les évêques feront marche arrière, par crainte d’être amalgamés à l’opposition partisane, et s’inscriront début 2016 dans la perspective du dialogue (sur le processus électoral) prôné par le pouvoir. Nouvelle période plus consensuelle, qui les verra à la fin de cette année 2016 jouer le rôle des bons offices entre le pouvoir et l’opposition pour aboutir à l’accord de la Saint-Sylvestre.

Le non-respect de l’accord par le pouvoir, la conviction de s’être fait instrumentaliser par ce dernier et le discrédit qui en résulte auprès de l’opinion publique replacent progressivement l’Église sur une trajectoire critique, avec l’éventualité de mobilisations en point de mire. Une campagne de sensibilisation au contenu de l’accord et à son non-respect par « une minorité de concitoyens qui a décidé de prendre en otage la vie de millions de Congolais » est entamée en juin 2017 dans les églises du pays, assortie d’une invitation à peine voilée à la mobilisation. [7] . Le blocage du processus électoral et la publication fin novembre d’un nouveau calendrier, avalisé par la communauté internationale, qui reporte les élections au mois de décembre 2018, décident la CENCO à durcir sa campagne. Elle accepte le report des élections présidentielles à la fin 2018, au grand dam de l’opposition et des mouvements citoyens, mais exige d’une part que Kabila déclare qu’il ne sera pas candidat, d’autre part que l’accord de la Saint Sylvestre soit effectivement appliqué, notamment dans son volet « décrispation politique ». Les évêques tergiversent néanmoins quant au moyen d’action à privilégier : se limiter aux prières, aux messages pastoraux et aux sons des cloches ou aller jusqu’à marcher ? C’est dans ce contexte précis que la coordination des catholiques décide de lancer son appel à marcher « pour libérer l’avenir du Congo ».

La façon dont l’église catholique investit le champ politique est déterminée par sa volonté de se profiler comme (seule) institution au-dessus de la mêlée - guidée par le bien-être de la population et garante du respect des règles démocratiques - et d’être considérée comme telle par l’ensemble des protagonistes : pouvoir, opposition, communauté internationale et population. La poursuite de cet objectif subit néanmoins des réorientations qui dépendent du jeu de pressions internes et externes dont l’institution est l’objet. Une tension existe historiquement entre la hiérarchie, davantage soumise à des contraintes diplomatiques de neutralité, et une partie du bas clergé, plus engagée socialement et revendicative. Ce n’est pas un hasard si de nombreux prêtres ont suivi l’appel à la mobilisation du 31 décembre 2107 lancée par le CLC, tandis que la CENCO ne se prononçait pas.

La conférence épiscopale est elle-même le théâtre d’un rapport de forces entre évêques plus réservés et plus politiques, entre évêques plus ou moins opposés au régime, sans compter les stratégies personnelles de certains de ses membres. Ensuite, comme dans tous les pays, les hauts dirigeants du clergé rendent des comptes au Vatican, qui intervient régulièrement pour orienter ou recadrer les évêques dans les dossiers politiques. Ils subissent parallèlement les conseils insistants des ambassadeurs et représentants onusiens, qui voient en la CENCO un levier indispensable pour avoir une prise sur les événements. Mais la principale pression externe à laquelle est exposée l’évêché est celle du clan Kabila qui, lorsqu’il ne peut imposer une interprétation du message des évêques qui lui est favorable, déploie des trésors d’argumentation pour disqualifier l’action politique de l’Église - tantôt en mettant en cause sa neutralité, tantôt en contestant la légitimité même de sa parole politique dans le cadre d’un État laïc.

Pointons quelques-unes des raisons qui expliquent la capacité de mobilisation de l’église catholique, quand les autres forces n’y arrivent pas ou plus. Tout d’abord, l’Église en tant qu’institution conserve une légitimité morale forte en politique, malgré sa perte considérable d’influence dans le champ religieux. Cette légitimité repose sur la place particulière qu’occupe l’institution dans l’imaginaire collectif, en tant que seul corps organisé n’ayant pas été absorbé par l’appareil mobutien. Le Comité laïc de coordination a une légitimité historique spécifique, pour avoir déjà été à la manœuvre lors « la marche des chrétiens » pour la reprise de la Conférence nationale souveraine, en février 1992, la mobilisation populaire de référence dans l’esprit des Congolais. Par ailleurs, l’appel a été soigneusement formulé dans des termes oecuméniques en vue de parler aux différents secteurs de la société.

Au-delà du crédit politique, un savoir-faire et des modèles d’action en matière de mobilisation existent donc parmi les responsables catholiques, et bien des prêtres qui ont marché ces dernières semaines avaient déjà battu le pavé contre Mobutu dans les années 1990. Le rôle de ces relais locaux de la mobilisation ne doit pas être sous-estimé. Si des milliers de personnes se sont décidées à marcher le 31 décembre, c’est que l’appel a été transmis et en quelque sorte valorisé par des prêtres qui jouissent d’un crédit moral certain au sein de leurs communautés respectives. A la différence des autres acteurs, ils ne sont pas soupçonnés d’attendre des dividendes personnels de la mobilisation, ce qui fait une énorme différence aux yeux des Kinois. Sur un plan plus émotionnel, le charisme de ces « pères de famille » symboliques a permis de vaincre la peur de la violence policière, a fortiori lorsque les prêtres marchaient au premier rang. Enfin, la forme de la manifestation et la teneur des revendications ont également joué : des marches à la manière de processions, explicitement pacifiques, sous-tendues par un langage religieux mais inclusif et adossées à des revendications moins provocatrices que les appels à une « transition sans Kabila ». Quand bien même le « dégagement » du président correspond au désir profond des Congolais.

Un avenir incertain

Malgré une troisième marche le 25 février, ayant suscité 166 cortèges à travers le pays, l’issue du bras de fer entre l’église et la présidence demeure incertaine. La détermination des catholiques est entière, mais le recours aux marches a un coût en vies humaines qui pourrait les amener à adopter d’autres formes de pression. Car en face, l’appareil sécuritaire persiste à voir dans ces manifestations « la mise en œuvre du schéma burkinabè », à savoir la tentative de destitution du président par la rue. L’évolution du rapport de force dépendra bien sûr de l’attitude de la communauté internationale qui, il faut le rappeler, a contribué à installer Joseph Kabila et maintient dans le pays le principal contingent militaire onusien. Sur le terrain diplomatique, où le match se joue en parallèle entre les opposants et les autorités, les pays occidentaux sont globalement sur la même ligne que les évêques, tandis que Kabila s’emploie avec plus ou moins de réussite à activer les solidarités africaines. Les résolutions et sanctions états-uniennes et européennes n’ont néanmoins pas fait baisser le niveau de répression. Et le front occidental est vulnérable au chantage au chaos mené par Kabila, alors que se multiplient les foyers de conflits dans le pays. Sans parler des arguments économiques du président hors-mandat, face auxquels la détermination de certains, à Paris notamment, paraît vacillante.

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Notes

[1Visant à conditionner la tenue des élections à la réalisation d’un recensement pouvant prendre plusieurs années.

[2Grâce à une alliance avec Moïse Katumbi, le riche et populaire ex-gouverneur de la province du Katanga forcé à l’exil en mai 2016 suite à l’annonce de sa candidature aux présidentielles.

[3Conférence épiscopale nationale du Congo.

[4Gauthier De Villers et Jean Omasombo, La transition manquée, Cahiers Africains, n°27-28-29, 1997.

[5Le Comité laïc de coordination.

[6L’article 64 de la constitution congolaise invite les Congolais à « faire échec » à tout individu prenant ou exerçant le pouvoir « en violation de la Constitution ». La seule évocation de cet article a progressivement été considérée comme un acte séditieux par l’État congolais. Cfr. Polet F. (2017), « Quand la rue kinoise envahit le politique », Cahiers Africains, n°91.

[7« C’est le moment historique d’être des ambassadeurs du Christ dans l’espace public (…) et d’avoir une présence active et courageuse dans le monde de la politique », Le pays va très mal. Debout Congolais, Message de la 24e Assemblée plénière ordinaire des évêques membres de la CENCO, 23 juin 2017.


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