Une nouvelle phase du conflit politique thaïlandais a commencé récemment. Cette fois-ci, toutefois, il ne se tient pas entre les chemises jaunes et rouges mais entre un bloc d’ultra-royalistes et un autre appelant à une réforme de la loi de lèse-majesté draconienne. Depuis le coup d’État militaire de 2006, le nombre de cas de lèse-majesté a été démultiplié. En 2005, 33 cas sont passés devant la cour de première instance. Ce nombre est monté à 164 en 2009 pour ensuite tripler en 2010. Les augmentations les plus drastiques sont survenues sous le gouvernement d’Abhisit Vejjajiva, emmené par les démocrates, qui avait une ligne royaliste fortement soutenue par les militaires.
La loi a été exploitée comme un outil politique pour nuire aux opposants politiques. Dans ce processus, l’institution royale a été politisée, principalement pour protéger certaines factions s’alignant sur le monarque révéré.
Des jeunes professeurs de droit de la prestigieuse université Thammasat, qui avaient formé un groupe dénommé Nitirat (ou “loi pour le peuple”), ont milité pour des amendements à la loi. Le mouvement Nitirat n’était pas seulement une réponse à une hausse sans précédent du nombre d’accusés mais aussi un écho au récent cas du sino-thaï de 62 ans, Amphon “Akong” Tangnoppakun, condamné à 20 ans de prison. Ce dernier aurait envoyé quatre textos insultant la reine et de le dauphin. Amphon a toujours affirmé son innocence. Connu dans le monde comme le “pays des sourires”, la Thaïlande a des peines extrêmement sévères pour le lèse-majesté. Pire encore : la loi permet à n’importe qui de porter plainte contre quelqu’un, ouvrant ainsi la porte à de nombreux abus.
Nitirat a proposé d’assouplir les peines et de mettre en place une unité spéciale chargée de prendre en charge les plaintes afin d’empêcher toute dévoiement de la loi. Mais le groupe est maintenant accusé d’essayer de renverser la monarchie.
Alors que le débat s’intensifie, la société thaïlandaise peut s’attendre à une autre confrontation des pro- et anti-article 112, une référence à la loi de lèse-majesté dans le code criminel thaïlandais.
Le 11 février, Abhinya Sawatvarakorn, une étudiante de 19 ans de l’université Thammasat, sera inculpée pour lèse-majesté pour des commentaires postés sur Facebook il y a deux ans.
Elle sera une des personnes les plus jeunes à être inculpée sous cette loi. Elle est déjà passé par tout un éventail de “punitions sociales”. Elle s’est vu refuser l’admission à l’université Silpakorn où des professeurs l’auraient traité de “traître”. Sa propre famille l’a rejeté et a arrêté de financer ses études. Un monarchiste lui a jetée une chaussure et elle a dû changer son nom pour éviter d’être reconnue, possiblement attaquée.
Les ultra-royalistes se sont montrés de plus en plus malveillants dans la campagne contre Nitirat. Le général en chef de l’armée Prayuth Chan-ocha a traité les professeurs de Nitirat de “personnes mentalement malades” tout en leur enjoignant de quitter le pays en raison de leur manque de respect pour la monarchie.
Dans le même temps, les membres de l’opposition démocrate lançait une vicieuse guerre de mots contre Nitirat. “Ces professeurs de droit sont la lie de la terre” a dit Chavanond Indarakomartsut, le vice-porte-parole du parti démocrate.
Les ultra-royalistes, en particulier l’”alliance populaire pour la démocratie” des chemises jaunes, ont appelé les militaires à faire un coup d’État pour défendre la monarchie et arrêter Nitirat. Au même moment, des menaces de mort ont été envoyées au groupe. Elles appelaient à décapiter les professeurs et à afficher leurs têtes sur des piques à l’extérieur de l’université Thammasat.
Ces tactiques de chasse aux sorcières sont étonnamment réminiscentes des violents incidents de 1973 et 1976 quand les étudiants de Thammasat, luttant contre des régimes despotiques, étaient accusés de comploter contre la monarchie avant d’être ensuite massacrés.
Trente-six ans plus tard, la monarchie est à nouveau au centre d’une crise thaïlandaise. Le gouffre de la division sur la loi de lèse-majesté est dangereusement grandissant et aucun signe ne montre que les camps opposés soient prêts à trouver une solution pacifique.
Alors que la fin du règne du roi Bhumibol, âgé et en mauvaise santé, approche de son terme, la chasse aux sorcières s’est intensifiée. Malheureusement, le gouvernement de Yingluck Shinawatra, arrivé au pouvoir grâce au vote des chemises rouges, a très clairement montré son intention de ne pas amender la loi de lèse-majesté. Le vice-Premier Ministre Chalerm Yubamrung a dit : “Mon parti ne changera jamais cette loi. J’opposerai également toute personne demandant à ce qu’elle soit modifiée.”
Les divergences sur la loi de lèse-majesté ont le potentiel de déclencher la violence politique entre les deux groupes. Les ultra-royalistes ne cachent pas leur intention d’utiliser la force contre leurs ennemis, espérant peut-être créer l’opportunité d’un coup d’État militaire. L’anxiété autour de la succession du trône pourrait expliquer pourquoi une intervention politique de l’armée serait nécessaire pour protéger les intérêts de la vieille élite. Mais l’armée et les ultra-royalistes se trompent en croyant qu’un futur coup ne rencontrait que peu de résistance.
Cette tribune a été originellement publiée en anglais dans le Straits Times de Singapour daté du 1er février 2012. Elle est reproduite ici avec l’aimable autorisation de Pavin.