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Brésil : le cas Dilma Rousseff

Dilma Rousseff est de nouveau dans la tourmente. Le 16 août dernier, ils étaient 866 000 selon la police, 2 millions selon les organisateurs à arpenter les rues brésilennes pour réitérer leur « Dehors Dilma ! ». Une partie de la population brésilienne n’en peut plus et continue de le faire savoir. Empêtrée dans la crise économique et dans des affaires de corruption, l’étau se resserre doucement mais sûrement autour de la présidente... au point de voir Lula, son mentor, venir voler à son secours.

Laurent Delcourt, sociologue, historien et chercheur au Centre tricontinental (CETRI) a éclairé pour 54 ÉTATS la situation de la première économie d’Amérique latine. Retour sur le casse-tête « dilmien »

« Celui qui ne saute pas est un toucan [1] ! » Ne boudant pas son plaisir, c’est en ces termes que Dilma Rousseff savourait sa victoire au second tour des élections présidentielles et se gaussait de son adversaire politique, l’économiste libéral, candidat du Parti social-démocrate brésilien (PSDB), Aécio Neves. Mais ça, c’était en octobre 2014 !

Peu d’eau aura finalement coulé sous les ponts avant que la foule ne déferle dans les rues brésiliennes et ne crache sa colère en scandant « Dehors Dilma ! » « Dehors le PT ! » consécutivement à la révélation du scandale de corruption Petrobas. La parenthèse enchantée se sera refermée de façon cinglante. Et ça, c’était au début du mois d’avril 2015… soit à peine sept mois après la réélection à la tête du Brésil de cette ancienne militante d’extrême gauche.

En déclarant vouloir être « une bien meilleure présidente que jusqu’à présent », la dauphine de Lula n’ignorait certainement pas les défis et difficultés qui l’attendaient. De là à imaginer qu’elle cristalliserait aussi rapidement toutes les tensions au point de voir une partie des Brésiliens réclamer sa destitution, quitte à faire intervenir l’armée…

Première femme à la tête de ce géant sud-américain, en l’emportant le 26 octobre 2014, Dilma Rousseff a définitivement inscrit sa formation, le Parti des travailleurs (PT), dans l’Histoire. Jusqu’à présent aucune formation politique n’avait emporté quatre élections présidentielles consécutives. Malheureusement, aussi inédits que soient ces faits, il en faudra nécessairement plus pour redorer son image.

Sans doute le sait-elle mieux que quiconque. Malmenée dans la rue, contestée au sein même de sa propre coalition et désavantagée par la morosité du contexte économique, celle qui a à cœur de s’améliorer aura fort à faire.

54 ÉTATS : Le candidat du Parti social démocrate brésilien (PSDB), Aécio Neves, a fait campagne sur le thème de la corruption qui n’a alors pas semblé trouver un véritable écho auprès de la population brésilienne. Comment expliquez-vous cette vague de protestations déclenchées par le scandale Petrobas ?

Laurent DELCOURT (L. D.) : L’ampleur de cette contestation peut s’expliquer par une augmentation de la sensibilité de la population brésilienne à la question de la corruption. La corruption est un sport politique au Brésil. Pratiquement les trois-quarts des membres du Congrès font l’objet de poursuites pour des histoires de corruption. Il faut donc nuancer. Le problème de Petrobras, c’est que pratiquement deux milliards de dollars ont été détournés en pots-de-vin. Le trésorier du PT est accusé d’avoir reçu ce type de dessous-de-table mais parmi les accusés, figurent également des membres d’autres partis, des membres de la coalition.


54 ÉTATS
 : Dressez-vous un portrait-type des contestataires ?

L. D. : Oui. On assiste au Brésil à l’émergence d’une droite radicale et mouvementiste qui s’apparente au Tea Party des États-Unis, et ce, depuis les fameuses journées de juin 2013. Il y a quelques mois à peine, ce mouvement ne mobilisait que quelques centaines de militants dans la rue contre quelques milliers actuellement. Ces militants se mobilisent et mobilisent surtout les classes moyennes contre la corruption. Cette mobilisation anti-corruption bascule très vite en une mobilisation anti-PT. Cette droite reprend un argumentaire qui n’est pas sans rappeler celui qui protestait contre les menaces communistes dans les années 60. On retrouve derrière cet « anti-PTisme » une sorte de rejet de toute entité liée à la gauche en général mais aussi un rejet des politiques sociales mises en place par le PT. Il s’avère très commode pour cette nouvelle droite de voir à travers le scandale de corruption, l’opportunité de mettre à mal le parti qui est au pouvoir depuis douze ans.

54 ÉTATS : Existe-t-il une proposition de changement véritable ?

L. D. : Non, il n’y a aucune alternative réelle actuellement. On assiste plutôt à un glissement vers des coupes budgétaires, une contraction des politiques publiques, une réduction des filets sociaux qui avaient été tissés notamment depuis l’arrivée de Lula en 2003 et une baisse des investissements des dépenses publiques. Le gouvernement a tendance à suivre les indications des grands acteurs économiques qui trouvent avantage dans les mesures prises.

54 ÉTATS : Le présidentialisme de coalition ne va-t-il pas en un sens précipiter la perte de Dilma Rousseff ?

L. D.  : Oui, d’une certaine manière. Cela fait des années que le parti de Dilma Rousseff espère lancer une réforme politique générale mais pour ça il faut évidemment avoir l’aval du pouvoir législatif qui n’a jamais été aussi conservateur depuis le retour de la démocratie en 1985. Dilma Rousseff doit composer avec cette réalité, quitte à dénaturer ses propres options politiques. Chaque mesure politique doit faire l’objet d’un marchandage avec des partis politiques qui ne s’inscrivent pas du tout dans la lignée politique (comme le parti progressiste situé à la limite de l’extrême droite) du PT. Ces marchandages politiques entraînent l’achat de votes aux fins de la mise en place de mesures respectant la vision politique du PT.

Hyper morcellé, le Congrès brésilien rassemble à peu près une trentaine de partis avec lesquels il faut négocier et dont la plupart s’apparentent à des entreprises politiques adossées à des intérêts personnels. D’une certaine manière, certains politiciens les utilisent comme instrument de consolidation de leur influence et de leurs propres intérêts, parfois, économiques.

54 ÉTATS  : Dilma Rousseff peut-elle devenir « une bien meilleure présidente » ?

L. D. : Ce n’est pas gagné tout simplement parce qu’elle est très contestée d’une part sur sa droite. Depuis quelques mois, on assiste dans la plupart des grandes villes brésiliennes, essentiellement celles situées au sud, à des vagues de manifestations durant lesquelles les manifestants réclament la destitution de Dilma Rousseff.

On retrouve dans ces groupes toute une mouvance liée à l’extrême droite et même des membres de sa propre coalition. Contestée dans la rue, madame Rousseff l’est aussi sur sa droite et sur sa gauche. Le PT étant devenu très minoritaire dans ce gouvernement, compte tenu des pressions économiques, elle a intégré dans son gouvernement des personnes qui ont une vision radicalement opposée à la plupart des militants de base du PT, notamment en termes de stratégie macroéconomique, de stratégie, de politique économique libérale. La frustration a gagné les rangs du PT, seul parti à avoir une assise militante. D’une certaine manière, sous la pression du marché et des membres de sa coalition, Dilma Rousseff a pratiquement abandonné après avoir été élue les revendications du PT pour aller dans le sens des membres de sa coalition. Mais avait-elle le choix ? Le PT n’a jamais été aussi minoritaire (70 parlementaires sur les 573 que compte le Congrès brésilien) dans un gouvernement, d’où la difficulté de mettre en place des mesures qui correspondent au programme initial.


54 ÉTATS
 : La destitution de Dilma Rousseff est-elle envisageable ?

L. D. : Non. La destitution est réclamée par une minorité d’organisations, de collectifs et de groupuscules qui sont fortement ancrés à droite voire à l’extrême droite. La plupart des grandes formations de l’opposition, en particulier le PSDB, clament haut et fort qu’elles veulent éviter ce genre de situation qui rappelle des évènements de sinistre mémoire, notamment le coup d’État militaire de 1964.

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Notes

[1Toucan : nom donné aux adhérents du Parti de la social démocratie brésilienne (PSDB), parti d’opposition au parti des travailleurs au pouvoir.


Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.