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B-Fast : l’évaluation manquée d’une intervention ratée

L’échec de B-Fast lors du séisme au Népal, en 2015, avait suscité la polémique et soulevé nombre de questions. Le gouvernement s’était alors engagé à réaliser une évaluation. Quatre ans plus tard, la voilà enfin. Mais partielle, limitée et déconnectée des véritables enjeux.

Le 4 mai 2015, l’équipe belge de sauvetage, B-Fast, rentrait du Népal, sans avoir pu apporter une aide concrète aux victimes du séisme, qui avait frappé le pays dix jours plus tôt. Parti le 26 avril au soir, l’avion n’avait pu atterrir à Katmandou que deux jours plus tard, du fait de la congestion de l’aéroport, et être opérationnelle que le 30 avril. Trop tard pour sauver des vies, et même pour être de quelque manière utile. Ce fiasco suscita la polémique. Le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, s’engagea alors à réaliser un audit de B-Fast.

C’est ce document ou, plus exactement l’un des documents de l’évaluation générale – celui réalisé par le service fédéral d’audit interne – qui vient d’être communiqué. La procédure interroge : délai, manque de transparence et de contextualisation. Interpelé à la Chambre le 11 mai 2015, Didier Reynders avait, en effet, annoncé une évaluation pour la fin de l’année. Il aura fallu attendre près de quatre ans pour l’avoir. Encore ne dispose-t-on pas de tous les documents, dont au premier chef celui de l’évaluation externe.

Ni le parlement ni d’autres acteurs n’ont, malgré leurs demandes, été associés à la démarche. De plus, à aucun moment, l’audit interne ne fait référence à l’intervention au Népal, pourtant à l’origine de cette évaluation. Seul le préambule en donne un indice, en évoquant la nécessaire prise en compte de l’évolution du contexte international, ainsi que les projets multilatéraux, notamment ceux de la Commission européenne.

Le document d’une soixantaine de pages décline et classe les risques auxquels est confronté B-Fast, en fonction de leur importance et de leur maîtrise. Et de conclure à des risques « généralement pas raisonnablement maîtrisés ». Est dès lors recommandée une meilleure coordination et synergie entre les divers services publics (pompiers, protection civile, etc.) et ministères (Affaires étrangères, Coopération au développement, etc.) responsables. B-Fast en a tenu compte pour élaborer un plan d’action, qui fera l’objet d’un suivi.

Un audit déconnecté des véritables enjeux

L’échec de l’intervention au Népal soulevait notamment la question de la coordination internationale – lorsque B-fast arrive à Katmandou, il y a déjà sur place 53 autres équipes internationales, dont 14 de pays de l’Union européenne –, qui n’est pas abordée ici. Le risque « élevé » et « non maîtrisé » de décalage fréquent « entre l’intervention telle qu’elle est prévue et telle qu’elle se déroule sur le terrain », relevé dans l’audit, est en fait structurel, et renvoie à d’autres risques, eux aussi, « élevés  » et « non maîtrisés » : l’absence d’information suffisante sur le contexte de la catastrophe et du pays où il se produit, le «  non alignement au besoin ».

Décalage entre la déferlante humanitaire, d’un côté, les besoins, les attentes des populations concernées, de l’autre. L’absence de connaissance et de prise en compte du contexte – pour ne rien dire de la langue – des pays d’intervention correspond ainsi à la prétention de l’humanitaire d’urgence d’agir vite et efficacement, sans devoir s’embarrasser d’informations inutiles ni de l’avis des autorités locales et des victimes.

Décalage aussi entre efficacité et visibilité. Le Népal avait sollicité une aide internationale sous diverses formes. Si le réflexe a été de leur envoyer des secouristes, c’est surtout que ce type d’intervention est bien plus visible, donc gratifiant, pour le gouvernement belge. Et immédiatement convertible en cote de popularité. Pour rappel, les 76 équipes internationales de type B-Fast, soit près de 1.900 personnes, présentes au Népal, ont sauvé 16 personnes. Là, comme ailleurs, la majorité des victimes ont été secourues dans les premières quarante-huit heures par les habitants eux-mêmes.

Le rayon d’action de B-Fast – question de rapidité –, jamais mentionné dans l’audit, a été fixé à 6000 km. Mais il ne constitue pas une règle contraignante. Et, de fait, plutôt que d’autres formes d’aide, au risque de saturer un peu plus les aéroports – et donc freiner les secours – et alors que des pays voisins peuvent apporter une aide directe, B-Fast a été envoyé en Haïti, au Pérou, au Népal... tous au-delà du rayon d’action. C’est que celui-ci, de même que les fiches « go ou no go » envisagées par l’audit, pèsent peu face à la double pression médiatique et politique, qui rend particulièrement élastiques la distance et les nécessités, au prisme de la contribution de B-Fast « au rayonnement international positif de notre pays  » dont parlait Didier Reynders.

Fallait-il donc attendre quatre ans pour un si maigre résultat ? Au vu des transformations du contexte international, les décalages risquent de se creuser et de s’intensifier encore. En témoigne, lors du séisme de fin septembre 2018 – le gouvernement belge avait à nouveau proposé d’envoyer B-Fast, alors que le pays est au-delà du rayon d’action –, la volonté de l’État indonésien de filtrer et de contrôler l’aide internationale. Fort est à parier que sans régulation et contre-pouvoir, le fiasco du Népal risque de se répéter. Et B-Fast de demeurer plus un instrument politico-médiatique du gouvernement belge qu’un outil au service des victimes.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.