B-Fast revient en Belgique, sans avoir pu venir en aide aux victimes du séisme qui a frappé le Népal. A l’heure de préparer l’avenir, vous pointez la surmédiatisation qui encouragerait la précipitation. Pourquoi ?
On a beaucoup insisté sur la frustration des secouristes ( remplis de bonne volonté ) et sur la déception générale de la population belge. En revanche, il n’aura guère été question du sentiment des Népalais face à cette intervention, aussi vaine que médiatisée, et dont le coût sera comptabilisé dans l’aide de la Belgique à leur pays. Au-delà des polémiques conjoncturelles, cet épisode trahit une triple dynamique. Contrairement à ce qui a été dit, le Népal n’a pas fait appel à la Belgique, mais bien à l’ONU pour solliciter une aide internationale. Lorsque l’appel est lancé, ni le gouvernement népalais ni l’ONU ne sont en mesure de savoir et encore moins de contrôler la réponse de la « communauté humanitaire », qualifiée par la Croix rouge internationale de la « plus grande industrie non réglementée ». Or, ces dernières années, dans un contexte de surmédiatisation (et en fonction de celle-ci), la prolifération d’organisations internationales, intervenant lors des grandes catastrophes, n’a cessé de croître, compliquant encore le travail de coordination.
Ces organisations se précipitent-elles pour se montrer ?
Lorsque B-fast arrive enfin à Katmandou, 5 jours après le tremblement de terre, elle rejoint les 53 autres équipes internationales de secours et de recherches (USAR - Urban Search and Research), dont 14 proviennent de pays de l’Union européenne. Les Européens ne se sont donc ni concertés ni coordonnés, et plusieurs ont vu leurs avions également retardés. De plus, ils n’ont pas tenu compte du risque élevé d’arriver (trop) tard – après 3-4 jours les chances de retrouver des survivants sont faibles – et de la réponse positive des pays limitrophes (l’Inde a elle seule a envoyé 13 équipes sur place), plus rapidement opérationnels. Enfin, ils ont ignoré l’avertissement de l’ONU d’une possible congestion de l’aéroport de Katmandou. Le manque de coordination tient dès lors d’une situation d’urgence chaotique, mais aussi de la tentation de chaque pays et organisation internationale de mettre en avant « son » aide, et de la réticence de nombreux acteurs à se (laisser) coordonner.
En quoi la médiatisation accentue-t-elle ce phénomène ?
Médias et organisations humanitaires se nourrissent et se renforcent mutuellement. Toute intervention humanitaire s’élabore et se déploie aussi comme une « affaire de com’ », en fonction de l’opinion publique du pays, d’enjeux géopolitiques et d’effets médiatiques. On ne s’étonne même plus de voir chaque équipe de secours accompagnée de journalistes. L’information glisse insensiblement de la situation népalaise au récit héroïco-épique de l’action de « nos » secouristes. Chaque pays met en scène son action, célébrant sa générosité, évaluant la situation au prisme de sa propre intervention. « Les Belges n’auraient pas compris qu’on n’envoie pas B-fast ». Et tant pis si cette prétendue incompréhension passe avant les besoins réels des Népalais. On entretient à dessein la confusion entre visibilité et efficacité.
Remettez-vous l’efficacité de ce type d’intervention en question ?
En 2003, 34 équipes internationales USAR sauvèrent 22 personnes dans la ville iranienne de Bam, frappée par un tremblement de terre. Les équipes locales de la Croix rouge sortirent 157 personnes vivantes des décombres. En janvier 2010, à Haïti, une soixantaine d’équipes, provenant d’une trentaine de pays sauvèrent 132 vies ; les deux équipes haïtiennes, sous-équipées, 68. Au Népal, selon l’ONU, une vingtaine de personnes ont été sauvées par les quelque soixante équipes internationales. Il y a donc un double décalage, d’une part, entre l’importance médiatique accordée à ce type d’intervention et son impact réel, d’autre part, entre la surmédiatisation des sauvetages internationaux et l’occultation de l’efficacité des secouristes locaux.
Que faut-il changer, selon vous ?
Ce qui est vraiment efficace est de renforcer les acteurs locaux, y compris les équipes de secours, et, à moyen terme, d’assurer un accès aux services sociaux de base et le déploiement de politiques publiques. Dans un rapport de 2004, la Croix-Rouge internationale appelait déjà à repenser le mythe de cette efficacité qui réunit d’un côté (au Sud) des victimes désespérées et impuissantes et de l’autre (au Nord), des humanitaires infaillibles.