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À « Qiyadah », l’utopie d’un nouveau Soudan

Soulevé depuis des mois à travers tout le Soudan, le peuple réclame la fin du pouvoir militaire et la transition vers un pouvoir civil. À Khartoum même, au cœur de la capitale, des milliers de personnes s’organisent, discutent, se mobilisent pour atteindre cet objectif. Mais les forces de la contre-révolution s’organisent.

Leurs pieds battent l’asphalte encore chaud et la poussière. Leur menton embrasse le ciel. C’est une bien belle parade militaire. Sauf que les pieds sont chaussés de tongs et les bouches rieuses. Qu’ils ne tiennent pas des fusils, mais des balais. Tous les soirs, des brigades de gamins jouent la même scène, ravis de leur blague. On les retrouve plus loin, affairés à balayer avec force gestes une des grandes avenues, piétonne et encombrée.

La scène n’est pas si anecdotique qu’elle le semble. Elle dit beaucoup sur le sit-in de Khartoum, cet immense espace de plusieurs kilomètres carrés occupé par les protestataires soudanais depuis le 6 avril. Ils l’appellent « Qiyadah  », (commandement), car ils l’ont établi le long du quartier général des forces armées soudanaises (SAF), ou «  midan al-itisam », la « place de l’attente », car ils ont décidé de n’en pas bouger avant que leurs revendications ne soient satisfaites : la mise à bas complète du régime d’Omar Al-Bachir et le pouvoir aux civils.
« Nous nous réapproprions notre pays »

Les avenues, rues, coins et recoins de Qiyadah sont propres, donc. Peu de papiers par terre, quasiment aucun sac en plastique qui vole ; les ordures sont mises en sac et ramassées par un camion poubelle : « Ici, nous nous réapproprions notre pays, et nous voulons que notre pays soit propre et donne une bonne image de lui-même et de nous », analyse, sérieux, Abdallah Gaber, 32 ans, l’un des régisseurs du sit-in. Ingénieur civil à la tête de sa propre entreprise dans la « vraie vie », grandi en Arabie saoudite, revenu il y a quelques années « parce que ce pays coule dans [mes] veines », il résume les griefs des protestataires contre le gouvernement d’Omar Al-Bachir : prédation, népotisme, confiscation et arbitraire. « Si tu n’étais pas « avec eux », tu n’avais aucune chance d’obtenir un marché un peu conséquent, explique-t-il. Les qualifications, l’expérience, rien de tout cela n’entrait en ligne de compte. Et à la moindre protestation, tu risquais de gros ennuis. C’était la même chose dans la vie quotidienne. Par exemple, un jour, un officier a embouti ma voiture à l’arrêt. Il m’a jeté quelques billets : « et voilà pour toi, » et il est parti. Ma voiture est hors d’usage, alors que c’est mon instrument de travail. C’était ça, le Soudan d’Al-Bachir. » Abdallah a passé plusieurs mois au « frigo », surnom des geôles sinistres du National Intelligence and Security Service (NISS), le service de renseignement. Les tortures ont renforcé sa détermination.

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Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.